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2,500 francs à Saint-Domingue. Le gouvernement de son côté encourageait fort ce trafic, et une prime de 40 livres par tonneau était accordée aux arméniens de traite. Les établissemens anglais et hollandais sur la côte occidentale d’Afrique appartenaient à des compagnies privilégiées. La France, qui avait également à l’origine adopté ce système, fort en vogue au XVIIe siècle, l’avait abandonné après la ruine de plusieurs compagnies, et avait trouvé de grands avantages à substituer les primes d’encouragement aux concessions de privilège, qui entravaient la liberté du commerce.

Une longue expérience avait révélé aux navigateurs les aptitudes des diverses tribus africaines. On savait sur quel marché il fallait aller chercher des laboureurs, sur quel autre on trouverait des artisans ou des serviteurs intelligens et dociles. La côte d’Or fournissait de rudes travailleurs, mais des caractères opiniâtres et enclins à la révolte ; le Congo et la côte d’Angola offraient des captifs moins robustes, peu propres aux travaux de la terre, très portés en revanche aux travaux des ateliers ou aux soins de la domesticité, joyeux et insoucians dans la servitude. Bien des nègres d’ailleurs arrivaient de contrées inconnues. Il en venait des bords du lac Tchad et des sources du Niger. Plusieurs de ces caravanes avaient passé des mois entiers en voyage, et avaient parcouru des espaces de deux et trois cents lieues avant d’atteindre le bord de la mer. Des courtiers, sortis pour la plupart de la tribu des Mandingues, dont le berceau est situé sur la rive droite de la Cazamance, près de la frontière orientale de la Sénégambie, se chargeaient de l’achat et de la conduite de ces captifs. Ils allaient les chercher sur les lieux mêmes de provenance, et les amenaient sur le marché le moins éloigné ou le plus avantageux. Un homme armé d’une lance et d’un fouet suffisait généralement à conduire une file de sept esclaves dont chacun avait le cou enclavé dans une fourche, et portait sur l’épaule l’autre bout de la fourche qui servait de carcan à son voisin. Ces caravanes faisaient d’ordinaire des étapes de dix ou douze lieues par jour. On reconnaissait facilement la longueur du voyage à la maigreur et à l’épuisement des captifs ; mais mieux valait encore des esclaves fatigués d’une longue route que ces nègres de rebut ramassés dans les provinces voisines de l’équateur, dont le front déprimé, ovale et fuyant, les yeux rapprochés, la mâchoire saillante, la poitrine étroite, les extrémités inférieures plus courtes que le torse, les longs bras, les jambes sans mollets et l’abdomen protubérant indiquaient que dans cette exploitation séculaire de l’Afrique on avait enfin rencontré le dernier échelon de la race humaine.

Ce fut sans doute une noble inspiration que la pensée d’abolir l’esclavage des noirs et la traite. L’honneur en revient à la révolution