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son âme pure de toute souillure ? Le prétendre, n’est-ce pas enlever à la pureté son charme, et au vice son caractère odieux ? Qu’on le remarque bien cependant, il ne s’agit pas ici d’un chrétien élevé dans la société chrétienne. Bien que né de parens honnêtes, Osman, éloigné de la maison paternelle dès son enfance, n’avait pu profiter ni de leurs exemples ni de leurs leçons. Pour lui comme pour plusieurs de ses compatriotes, l’ignorance de toute loi morale ou du moins de tout ce que nous entendons par ces mots n’avait que trop bien secondé les fatales influences auxquelles avait été exposée sa jeunesse. Le même homme qui dans un autre milieu eût aimé et pratiqué la vertu, égaré par les conseils d’un maître dépravé, l’avait suivi dans une voie mauvaise sans se rendre compte de sa chute. C’était dans la plénitude d’une certaine innocence qu’Osman était arrivé au bord de la tombe. Aussi n’était-il guère effrayé de la mort ; les désordres de sa vie passée ne pesaient nullement à sa conscience, et fidèle à la croyance musulmane, il ne voyait dans l’autre vie que des plaisirs analogues à ceux qu’il allait quitter.

Une seule question troublait Osman : il avait entendu sa plus jeune femme, Sarah, balbutier quelques paroles où se trahissait une douloureuse inquiétude sur l’avenir de ses enfans. N’avait-il pas fait un usage coupable de l’argent destiné à entretenir sa famille ? Que deviendrait après sa mort la plus aimée comme aussi la moins riche de ses femmes ? que deviendraient ses enfans ? Ces sombres pensées amenaient à leur suite la terreur et le délire. L’âme du malheureux flottait ainsi entre des préoccupations toutes matérielles et des souvenirs de sa première enfance ou des visions du paradis musulman, qui l’arrachaient passagèrement à ses inquiétudes. Tantôt il revoyait les vieux arbres du vieux verger éclairés des premiers rayons du soleil, il entendait le mugissement des buffles que son père conduisait au pâturage, il se croyait lui-même encore à la recherche des nids d’aigle sur la montagne ; tantôt il adressait des invocations à ces beautés toujours souriantes et toujours jeunes qui attendent le vrai croyant dans l’autre vie. Brisé par ces aspirations de la fièvre, il tomba enfin dans une morne somnolence qui permit à quelques femmes groupées à l’extrémité de la chambre de reprendre leur causerie interrompue.

Parmi ces femmes se trouvaient les trois épouses d’Osman, Fatma, Anifé, Sarah. Fatma, sœur du pacha protecteur d’Osman, était entrée dans le harem du favori après la mort de son premier époux. Bien que mère déjà de trois enfans, elle n’avait donné aucun héritier à Osman, qui avait alors pris pour femme la fille d’un de ses collègues en favoritisme, veuve aussi, mais beaucoup plus jeune que Fatma. Anifé cependant n’avait donné à Osman qu’un enfant maladif, et elle