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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/801

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d’abord en petit nombre. Les courtiers de ce commerce voulaient naturellement ménager tous les navires qui se trouvaient sur rade, et cherchaient à faire croire à la rareté de leur marchandise pour établir une concurrence qui tournât à leur profit.

L’arrivée des esclaves au comptoir est certainement la plus horrible chose qu’on puisse imaginer. Ces malheureux, formés en caravanes, sont liés par le cou les uns aux autres au moyen de ces grandes fourches de bois dont j’ai déjà parlé. Le poids et le frottement de ces entraves, qui semblent avoir suggéré aux Chinois le supplice de la cangue, condamnent les captifs à d’atroces souffrances, surtout lorsqu’ils ont une longue route à parcourir. Le bien-être que ces pauvres gens éprouvent à être débarrassés de leur collier de misère, les soins dont ils deviennent l’objet de la part de leur nouveau maître expliquent la résignation dont ils font généralement preuve. Quelques-uns cependant appartenant à des tribus anthropophages, telles que les Monsombés et les Mondongues, que l’on reconnaît à leurs incisives limées et aiguisées en pointe, s’imaginent qu’on ne les achète que pour les manger. Ceux-là résistent souvent à toute espèce d’encouragement. Ils ne profèrent pas une plainte, mais ils serrent les dents et se laissent mourir de faim.

Avant la révolution française, la traite était non-seulement un commerce légal, mais encore un commerce très honoré et encouragé par de fortes primes. N’ayant point à cacher ses opérations et à fuir la rencontre des bâtimens de guerre, le négrier n’était pas obligé d’entasser comme aujourd’hui les esclaves sur des navires de marche rapide et de petites dimensions ; on n’avait de précautions à prendre que contre la révolte de la cargaison, on n’avait d’autre préoccupation que celle de préserver de tout déchet la marchandise. Les bâtimens destinés à ce trafic avaient en conséquence adopté des dispositions toutes particulières. Le pont était divisé en deux parties par une forte rambarde élevée de huit pieds et débordant la muraille du navire des deux côtés, de manière à rendre le passage de l’avant à l’arrière impossible : dans cette rambarde était pratiquée, une porte, qui ne s’ouvrait que pour les gens de l’équipage, et un certain nombre de créneaux étaient incessamment garnis de pierriers et d’espingoles chargés jusqu’à la gueule. En dehors du bâtiment, deux plates-formes à jour servaient aux ablutions des hommes et des femmes, toujours impitoyablement séparés. C’est là que chaque matin les captifs recevaient plusieurs seaux d’eau de mer sur le corps, qu’on les obligeait à se rincer la bouche avec de l’eau douce mêlée de jus de citron, et qu’on leur frottait tout le corps d’huile de coco pour éloigner d’eux la piqûre des insectes et leur rendre la peau à la fois douce et luisante.