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Les esclaves faisaient deux repas par jour. Leur nourriture consistait principalement dans une soupe très compacte, nommée macondia, où l’on faisait entrer des fèves, du riz, du biscuit pilé, et même, lorsqu’on le pouvait, des ignames, des patates ou des bananes. Un noir libre, parlant les différens idiomes de la langue congo, était chargé de la police des captifs. Il désignait parmi eux les plus intelligens pour le seconder et faisait reconnaître leur autorité par les autres esclaves. Muni d’un sifflet semblable à celui des maîtres d’équipage, il appelait les nègres sur le pont aux heures fixées par le capitaine et donnait lui-même le signal de la danse. Le premier, il entonnait la chanson dont le rhythme cadencé exerce une irrésistible influence sur les populations de la côte d’Afrique. Les esclaves qu’il s’était adjoints la répétaient après lui, et bientôt tous les autres, entraînés par cet exemple, frappant des pieds et des mains en mesure, s’animaient de telle sorte qu’en peu d’instans leur corps nu était couvert de sueur. Tous ces soins, inspirés par une basse cupidité, n’avaient rien de bien méritoire, mais on ne peut nier qu’ils ne fussent parfaitement entendus pour entretenir la santé parmi les malheureux sur la bonne mine desquels reposait tout l’espoir de l’expédition.

Nous avions trouvé, à notre arrivée sur la rade de Kabenda, deux bâtimens français avec lesquels nous étions immédiatement entrés en concurrence. Celui dont le chargement était le plus avancé éleva ses prix et obtint ainsi une préférence qui lui permit de partir, peu de jours après, pour sa destination. L’autre, pendant près de deux mois, essaya de lutter contre nous. Peu scrupuleux sur le choix des moyens, son capitaine expédiait des canots sur les différens points de la côte pour gagner les marchands dont nous attendions l’arrivée et intercepter les captifs qui nous étaient promis. Nous étions obligés de déployer non moins d’activité pour déjouer autant que possible ces manœuvres. Nuit et jour nos embarcations étaient en course. Ce fut dans une de ces circonstances que le second du Bon-Père s’aperçut que je me servais assez gauchement de mon aviron. Comme il n’était rien moins que d’humeur facile, il jura de ne pas me laisser croupir dans cette ignorance et profita de l’absence du capitaine pour faire de moi un canotier en titre. Pendant plus d’un mois, il me fallut faire le plus rude des apprentissages. Le capitaine, venant un jour à bord, remarqua, non sans étonnement, mon excessive maigreur. Lorsqu’il en connut la cause, il fut fort mécontent et décida que, pour me rétablir, je serais attaché au service du comptoir. En effet dès le jour même je descendis à terre, et je crois n’avoir jamais mieux dormi de ma vie.

Depuis près de trois mois, nous étions sur la rade de Kabenda, et