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dont nous parlons. Habitués à voir tous les phénomènes de laboratoire dépendre de la chaleur, de l’électricité, de l’affinité et d’une demi-douzaine d’autres forces dont ils admettent l’existence, ils ne veulent pas voir autre chose dans les êtres organisés. De là des exagérations vraiment étranges, et qui n’ont rien de nouveau pour être datées d’hier. Sans remonter à l’antiquité, bien avant M. Fink, les iatromathématiciens, les iatrophysiciens des derniers siècles étaient allés jusqu’à dire que « la psychologie ne sera bientôt plus qu’une branche de la mécanique. » Bien avant M. Lehmann, les iatrochimistes, héritiers eux-mêmes des alchimistes, avaient nié l’existence des forces vitales et cherché dans les lois de la physique et de la chimie l’explication de tous les phénomènes vitaux[1]. Pour se reproduire appuyées sur un savoir plus avancé, ces doctrines ne sont pas plus vraies. Elles prouvent seulement que l’espèce d’ambition inquiète dont je parlais tout à l’heure est passée de leurs devanciers aux physiciens, aux chimistes de nos jours. Décidé, — et avec raison, — à faire dans ses Leçons une large place aux recherches de la physiologie expérimentale, M. Edwards a pu craindre qu’on ne se méprit sur ses convictions, qu’on ne le regardât comme un adepte de cette école que nous avons tant de fois combattue. Une déclaration très explicite et très sage, placée au début de l’ouvrage, a prévenu cette erreur. « Le physiologiste, dit M. Edwards, doit étudier avec soin la série des réactions chimiques et des phénomènes physiques dont l’organisme peut être le siège ; mais il ne faut pas croire que dans la machine animée tout puisse s’expliquer par le jeu de ces forces, et je dois attacher non moins d’importance à bien mettre en lumière ce qui dépend de la puissance vitale, force sans laquelle aucun être organisé ne pourrait même commencer à exister. » Nous ne pouvons qu’applaudir à ce langage : c’est celui d’un esprit vraiment élevé, qui, au-dessus de la matière brute et morte, voit clairement la nature organisée et vivante, qui, au-delà des forces physico-chimiques, aperçoit celle qui les maîtrise et les régit. On peut suivre sans crainte le physiologiste qui fait une pareille profession de foi.


A. DE QUATREFAGES.

  1. M. Edwards cite ces deux auteurs précisément comme des exemples de ces exagérations contre lesquelles il faut se tenir en garde.