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rement, elle hâta le pas et fut bientôt devant le vieillard, qui l’accueillit avec un doux sourire. — Ma fille, lui dit-il, vous êtes veuve, et vos enfans n’ont plus de père. Notre devoir envers vous et envers celui que nous pleurons encore est de combler ces deux vides, de vous donner un autre protecteur en remplacement de celui que Dieu vous a retiré. J’agirais plus conformément à la règle et à l’usage en vous présentant pour époux l’aîné des fils qui me restent ; mais mes enfans ont préféré un autre procédé, et comme on a dans ma famille, à vrai dire, des notions tant soit peu bizarres sur les choses de la vie, je me suis rendu à leurs désirs. Mes deux fils vous offrent leur main et vous laissent le choix entre eux. Si vous désirez prendre quelque temps pour réfléchir, vous n’avez qu’à parler, ma fille.

— Mes sœurs sont-elles instruites de la proposition qui m’est faite en ce moment ? demanda Sarah.

— Oui, répondit le vieillard ; leurs maris ne leur ont rien caché.

— Et qu’ont-elles dit ? demanda encore Sarah, se rappelant les sombres regards qu’on venait de lui lancer.

— Que vous importe, ma fille, ce qu’ont dit vos sœurs ? Toutes deux connaissent leurs devoirs et sont de bonnes femmes ; elles vous ont aimée dès le premier jour que vous avez passé parmi nous, et elles vous aimeront chaque jour davantage, quel que soit le compagnon que vous aurez choisi.

— Me permettez-vous de me retirer pendant une heure ? dit Sarah. Je reviendrai ensuite vous rendre réponse.

— Nous l’attendrons ici jusqu’à midi, mon enfant, et si à ce moment tu n’es pas revenue, nous en conclurons que ton choix n’est pas encore fixé, et nous nous rassemblerons de nouveau quand tu le voudras.

Sarah descendit dans la vigne avec ses deux enfans, et alla s’asseoir sur l’herbe au bord d’un petit ruisseau qui arrosait le verger, à l’ombre d’un grand mûrier. La petite fille se mit aussitôt à ramasser les fruits dont le sol était jonché, et le petit garçon ne tarda pas à s’endormir, abandonnant sa mère à ses propres réflexions. Sarah n’était pas une héroïne de roman ; son cœur ne débordait pas de tendresse, et l’humilité ne formait pas le fonds de son caractère. C’était une bonne fille, assez douce, beaucoup plus simple et plus vraie que les femmes parmi lesquelles elle avait vécu à Constantinople, mais beaucoup plus avancée dans la connaissance des choses de la vie que ses rustiques parentes. Elle comparait ses nouveaux prétendans à l’homme qu’elle avait fidèlement aimé, et la comparaison n’était pas à leur avantage. Venait ensuite la pensée des tracas et des amertumes que la jalousie des deux jeunes femmes n’épargnerait pas à leur rivale. Épouse imposée et acceptée à contre-cœur d’un paysan