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mal élevé et déplaisant, opprimée par une rivale qui exercerait en quelque sorte sur elle l’autorité d’une maîtresse, Sarah n’apercevait dans le sort qui lui était offert, et sous quelque aspect qu’elle essayât de l’envisager, qu’ennui et tourmens. Trop jeune pour se rendre compte du poids d’une longue et solitaire existence totalement dénuée de toute occupation, de tout intérêt et de tout plaisir, Sarah se disait que le monde entier n’était pas enfermé dans la maisonnette de Mehemmedda, qu’il y avait d’autres hommes que ses beaux-frères, qu’elle était encore jeune et jolie, que rien ne s’opposait à ce qu’elle rencontrât dans un temps plus ou moins éloigné un parti plus sortable qui la replaçât dans son monde à elle, et qui lui rendît les plaisirs dont la mort d’Osman l’avait sevrée. Je ne jurerais pas non plus que Sarah ne cédât au désir d’étonner ses parens par un refus auquel ils étaient loin de s’attendre, et d’apprendre à ses belles-sœurs qu’elle ne leur enviait pas les maris dont elles étaient si jalouses, et si fières. Ce fut donc avec un faible, mais fin sourire sur les lèvres, quelle reparut dans la salle où l’attendaient Mehemmedda, Ansha et leurs fils, quelques minutes avant que l’heure fût écoulée.

— Je viens vous faire part de ma résolution, mon père, ma mère et mes frères, dit-elle en s’adressant tour à tour à ces divers personnages. Je vous remercie pour votre tendre sollicitude envers moi et mes enfans ; mais vous avez si bien su me rendre heureuse au milieu de vous tous, que je ne souhaite rien changer à ma position.

— Je ne te comprends pas, ma fille : qu’entends-tu par ne rien changer à ta position ? Tu ne changeras que ton titre de veuve contre celui d’épouse, qui vaut assurément mieux.

— Je le préférerais de beaucoup, mon père, si je pouvais le reprendre avec celui qui me le donna jadis ; mais puisque cela est impossible, je garderai celui de veuve qu’il m’a laissé, et je n’accepterai pas un nouvel époux. Pardonnez-moi ce refus, mon père, ma mère, et vous aussi, mes frères ; mais vous ne voudriez pas me voir triste et malheureuse, et je le serais certainement si j’acceptais votre généreuse proposition.

— Dieu me préserve de faire ton malheur, ma pauvre enfant ! Mais je ne vois pas ce qui arrivera de toi !… Enfin c’est toi qui le veux… Allons, vous autres, ajouta le vieillard en se tournant vers ses fils, donnez avis de cette réponse à vos femmes.

Les deux jeunes gens se dirigeaient déjà vers la porte, charmés d’en être quittes à si bon marché, lorsque Sarah fit un mouvement pour annoncer qu’elle avait quelque chose à dire encore. Les jeunes gens s’arrêtèrent et se regardèrent non sans inquiétude. Sarah dit