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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/889

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est inutile de faire ressortir le mérite d’un livre qui a été traduit dans toutes les langues, et que tout le monde a lu. On demandait à Byron s’il ne fallait pas mettre le Vicaire au rang des meilleurs romans qu’il y eût dans aucune langue. « Dites, répondit Byron, que c’est le meilleur. » Goethe écrivait à Zelter en 1830 : « Il n’est pas possible de vous rendre l’effet que produisit sur moi le Vicaire de Goldsmith, juste au moment critique du développement de mon intelligence. Cette ironie sublime et bienveillante, cette noble et indulgente façon d’envisager toutes les infirmités et toutes les fautes humaines, cette douceur dans le malheur, cette égalité d’âme au milieu des traverses et des changemens de fortune, tout cet ensemble de vertus, si voisines les unes des autres, et de quelque nom qu’on les nomme, fit la meilleure partie de mon éducation… Ce sont bien là les idées et les sentimens qui nous préservent de toutes les erreurs de la vie. »

Goldsmith occupait alors, après Johnson, la première place dans le monde littéraire ; on recherchait avidement tout ce qui sortait de sa plume. Trois ans auparavant, il avait publié une histoire d’Angleterre en deux petits volumes sous le titre de Lettres d’un Noble à son Fils. Cet ouvrage, clair, rapide, élégamment écrit, avait fort réussi. On l’avait attribué à plusieurs lords qui se mêlaient d’écrire, et en dernier lieu à lord Lyttleton. Comme cette erreur contribuait au succès du livre, Newbery avait exigé que Goldsmith gardât l’anonyme. Maintenant les libraires, dans leurs traités, lui imposaient pour première condition de signer ce qu’il écrirait pour eux. Les jugemens de Goldsmith en littérature avaient force de loi : on invoquait son autorité dans les controverses ; aucun nom n’était entouré de plus de popularité et d’estime. Cette faveur de l’opinion publique lui valut une proposition fort inattendue. L’administration de lord North avait à lutter contre une opposition formidable ; elle était dans la presse en butte à des attaques très vives, et le mystérieux et terrible Junius avait commencé la publication de ces lettres qui, pendant plusieurs années, tinrent toute l’Angleterre en suspens. Battu en brèche par la presse, le ministère voulut retourner contre ses adversaires les armes dont ils se servaient. On résolut d’enrôler des écrivains en renom pour la défense de l’administration. On pensa tout d’abord à Goldsmith ; comme il était pauvre, on crut qu’il était à vendre. On lui dépêcha avec carte blanche le révérend Scott, chapelain de lord Sandwich et l’un des coryphées de la presse ministérielle. « Je le trouvai, racontait Scott, dans un méchant appartement garni au Temple. Je lui dis par qui j’étais envoyé ; j’ajoutai qu’on m’avait autorisé à rémunérer très largement ses travaux. Le croiriez-vous ? il fut assez absurde pour me répondre qu’il gagnait par