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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/890

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sa plume de quoi suffire à ses besoins, sans écrire pour aucun parti, et que l’assistance que je lui offrais lui était par conséquent inutile. Il me fallut le laisser dans son grenier. » Étrange absurdité en effet que de refuser les faveurs du pouvoir ! Combien Scott devait applaudir à sa propre sagesse, lui dont les services furent récompensés par deux riches bénéfices, tandis que Goldsmith allait mourir, à quarante-cinq ans, d’épuisement et de chagrin ! Pourtant c’était Goldsmith qui avait raison, et sa droite et loyale nature l’avait bien conseillé. L’erreur de lord North, erreur commune à presque tous les gouvernemens, avait été de croire que la plume de l’écrivain puisse, comme l’épée du gladiateur, servir indifféremment toutes les causes, et qu’un homme puisse impunément trafiquer de son talent, de son autorité et de sa bonne renommée. Le ciel n’a pas voulu qu’on pût abuser à ce point de ses dons les plus précieux. Goldsmith savait où il puisait l’inspiration : il sentait que l’intelligence n’est qu’un instrument au service de l’âme, qu’ainsi elle ne vaut que par l’être moral qui l’emploie, et que, si belle et si forte soit-elle, elle se flétrit et s’éteint quand l’âme s’avilit. Non-seulement l’écrivain est un témoin dont la parole n’a d’autorité qu’autant qu’elle est libre et désintéressée, mais l’homme de talent qui se dégrade au rang de mercenaire voit bientôt son intelligence s’énerver et s’obscurcir, faute de pouvoir se retremper aux inspirations d’un cœur sincère et d’une conscience pure : le vase mortel demeure, paré encore des plus brillantes couleurs, mais le parfum divin qui lui donnait un prix inestimable s’est échappé avec l’indépendance et la dignité.

Goldsmith allait payer cher sa tardive célébrité : il se trouvait entraîné malgré lui dans une vie dispendieuse sans que ses ressources fussent plus régulières, ni plus grandes que par le passé. Pour avoir un peu d’air et de lumière, il avait changé de logement sans quitter le Temple, et pris un appartement qui avait vue sur les jardins et sur la Tamise. L’ameublement de cet appartement lui coûta 400 guinées. On lui avait si souvent reproché la négligence de sa mise, qu’il ne se croyait jamais suffisamment bien vêtu, et il vint un jour dîner chez Boswell avec un pourpoint de taffetas rose. Il ne pouvait suffire à toutes ces dépenses que par un labeur opiniâtre. On est effrayé des travaux de toute nature qu’il exécuta en quelques années : histoire, biographie, philosophie, sciences, compilations, traductions du français, se succédaient sans relâche, suivant les exigences des libraires. Il gémissait de dépenser ainsi un temps et des facultés dont il se sentait capable de faire un meilleur emploi ; mais il était attaché à la glèbe, et ne pouvait s’affranchir. Tous ces travaux étaient payés un prix dérisoire : par exemple, il reçut 5 guinées pour un abrégé de grammaire anglaise. Les pièces