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en a dans Orphée, dans les deux Iphigénies et dans Alceste. Sur ce fond dramatique, dont l’action est encore très simple et les personnages peu nombreux, Mozart jette le fluide lumineux de son génie éminemment musical, il multiplie les incidens et les caractères de la fable. Il y a plus de musique proprement dite dans Idoménée, le Nozze di Figaro et Don Juan que dans toute l’œuvre de Gluck, où domine la déclamation lyrique, à peine recouverte d’une couche légère de sonorité. Gluck n’en reste pas moins un des grands maîtres dans l’art de chanter les belles passions du cœur humain ; mais, comme musicien, il ne possède ni la science suprême, ni l’abondance inépuisable, ni la grâce divine et la flexibilité de Mozart, dont l’avènement est un miracle de la nature. Rossini prend le drame lyrique presque où l’a laissé Mozart, et, suivant les impulsions secrètes de son propre génie et celles de la nation qui lui a donné le jour, il produit en riant une trentaine de chefs-d’œuvre qui font une révolution dans la musique dramatique du XIXe siècle. Sans le vouloir d’une manière explicite, Rossini combine dans son style, le plus varié qui existe au théâtre, la grâce mélodique, l’esprit, l’entrain et la gaieté naïve des maîtres italiens, surtout de Cimarosa, avec l’instrumentation nourrie de Haydn et de Mozart, dont il est le véritable successeur. Il écrit mieux pour les voix que l’auteur de Don Juan ; sa phrase mélodique est plus longue et plus facile, ses morceaux d’ensemble sont quelquefois plus développés, son orchestre est plus sonore, plus éclatant, et rempli du brio, de l’accent pittoresque de la passion moderne. Le Barbier de Séville, Otello, Semiramide et la Zelmira sont les quatre opéras italiens où Rossini a mis le plus grand nombre d’idées originales et déployé la plus grande puissance de son génie avant la transformation que lui ont fait subir l’esprit et le goût de la France. Le Comte Ory, le Siège de Corinthe, Moïse, et surtout Guillaume Tell, marquent l’agrandissement successif de sa manière et le plus grand développement que l’art musical ait trouvé au théâtre. Si l’idéal révélé par Mozart dans certains morceaux d’Idoménée, dans le Nozze di Figaro, dans Don Juan, dans l’Ave Verum et dans le Requiem, est plus élevé, plus chaste et plus pur que celui qui se dégage de l’œuvre tout entière de Rossini, celui-ci n’en est pas moins le compositeur dramatique le plus varié qui se soit encore produit dans l’histoire, et Guillaume Tell le tableau musical le plus grandiose qui existe sur la scène lyrique. Ainsi donc, de Scarlatti à Jomelli, de Gluck à Mozart, et de Mozart à Rossini, la musique, appliquée à une fable dramatique, soit dans le genre sérieux ou dans le genre comique, développe de plus en plus les propriétés de son langage, agrandit son domaine, et couvre le modeste canevas qui lui a servi de thème d’une floraison de poésie qui charme et ravit le public, indépendamment de l’intérêt dramatique et de la vérité de l’expression. Est-ce qu’un tableau de Titien ou de Rubens, est-ce qu’un Ruysdaël ou un Claude Lorrain, n’offrent pas aux amateurs de peinture un plaisir tout à fait indépendant du sujet qui s’y trouve représenté ? Est-ce que la langue dans laquelle sont écrits Polyeucte, Athalie ou le Misanthrope a besoin de l’illusion dramatique pour que les connaisseurs en goûtent les beautés ? Je touche ici à des lieux communs dont on ne conteste l’évidence que lorsqu’il s’agit d’apprécier les œuvres de l’art musical.

Donizetti et Bellini continuent la belle tradition de l’école italienne, tout en développant les qualités particulières que le ciel leur a départies. Si Donizetti