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Se jeta dans ses bras. — Ah ! fit-elle, Didier,
Notre pauvre bonheur est perdu tout entier ;
Nous ne nous verrons plus, ta Madeleine aimée
Doit rester au logis nuit et jour enfermée ;
Mon père a tout appris… Adieu donc notre espoir,
Adieu nos rendez-vous sous les hêtres le soir !
Et je t’aime pourtant !… — Sur sa joue empourprée,
Des larmes ruisselaient, et la lune dorée
Les faisait scintiller comme des diamans.
Didier restait muet. Son cœur à tous momens
Semblait prêt à se rompre. — Hélas ! dit-il, que faire ?
Demain, dès le matin, j’irai trouver ton père.
— Mon père ?… Ah ! pauvre ami, tu ne le connais pas !
Vois ces frênes au loin, les plus robustes bras
Ne sauraient les plier : mon père leur ressemble. —
Ils s’assirent pensifs sur le tronc d’un vieux tremble ;
Les mains cherchaient les mains, les lèvres s’unissaient,
Et sur leurs fronts penchés les brises qui passaient
Emportaient des soupirs et des mots de tendresse…
Tout à coup Madeleine : — Hélas ! le temps nous presse,
Adieu, le jour va luire. — Écoute, fit Didier,
J’ai pour toute fortune un toit de coudrier,
Mon vieux fusil, mon chien, et dans le creux d’un chêne
Cent écus, amassés semaine par semaine.
Je gagne mon pain noir en chassant dans les bois,
Et suis heureux malgré les gardes et les lois.
As-tu peur de ma vie errante et solitaire ?
M’aimes-tu ?… Sous mon toit, viens remplacer ma mère ;
Partons, et sois toujours et tout entière à moi ! —
Madeleine pleurait. — Ah ! je n’ai plus que toi !
Dit-elle, et sur son sein, troublée et palpitante,
Elle laissa tomber sa tête fléchissante.
Tous deux avaient vingt ans ; le printemps parfumé
Les enivrait. Que ceux qui n’ont jamais aimé
À leurs jeunes amours osent jeter la pierre !…

Déjà l’aube au lointain blanchissait la clairière,
L’air fraîchissait ; le coq dans la ferme chanta.
Madeleine hésitante un moment s’arrêta :
L’étable s’éveillait, la brise matinale
Agitait les volets de sa maison natale,
Et ce calme logis, qui vit ses premiers pas,
Semblait lui dire : « Enfant, ne m’abandonne pas. »