Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous voudrions raconter, c’est la grande influence industrielle de la culture de la betterave saccharifère et alcoogène que nous voudrions suivre depuis les premiers essais d’exploitation jusqu’à nos jours, et caractériser par ses résultats les plus significatifs.


I

Olivier de Serres nous apprend que la betterave rouge fut importée de l’Italie dans l’Europe du nord vers la fin du XVIe siècle, et cultivée dans les jardins comme plante alimentaire pour l’homme. C’est en Allemagne que cette culture prit d’abord de grandes proportions ; elle ne se développa en France que beaucoup plus tard. Une variété productive, mais très aqueuse, de la betterave, la disette, avait été introduite dans notre pays en 1775 par Vilmorin. On en faisait usage principalement pour la nourriture des animaux. L’abbé Commerel, qui lui donna le nom de betterave champêtre, rédigea sur la culture de la disette en 1784 une bonne instruction publiée par ordre du gouvernement et insérée dans le Dictionnaire de l’abbé Rozier[1]. Ce n’est pourtant qu’à la fin du XVIIIe siècle que le blocus des ports français et les obstacles apportés aux communications de la France avec les colonies appelèrent l’attention du pays sur la possibilité d’obtenir de la betterave des ressources bien autrement précieuses. Il s’agissait en effet d’extraire économiquement de cette plante un sucre cristallisable, et tel est le problème que la science parvint à résoudre, en même temps qu’elle développait, au grand avantage de diverses industries indigènes, l’exploitation de matières premières tirées du sol, mais jusqu’alors négligées, qui produisirent en abondance l’acide sulfurique, le chlore, la soude, l’alun, le salpêtre, le sel ammoniac, etc. Dès-lors aussi furent inaugurées ces savantes méthodes industrielles au moyen desquelles la France, tout en luttant contre la pression extérieure, dota de forces nouvelles l’industrie des nations qui voulaient l’accabler.

De nombreux essais d’épuration des sirops et sucres de raisin, de miel, etc., n’avaient donné qu’un produit très différent du sucre de canne, deux fois moins soluble, deux fois moins sucré, et de saveur moins agréable. À l’époque même où se poursuivaient ces essais sans avenir, bien que généreusement encouragés[2], des efforts plus

  1. Huitième volume, article racine de disette, nom que les Allemands ont traduit par ce mot composé : Manget-Wursel.
  2. En 1810, sur le rapport d’une commission convoquée par M. de Montalivet, ministre de l’intérieur, et composée de Berthollet, Chaptal, Parmentier et Vauquelin, des récompenses furent décernées, l’une de 100,000 fr. avec la décoration de la Légion d’honneur à Proust, l’autre de 40,000 fr. à Fouques, à la condition que ces sommes seraient employées à construire des fabriques de sucre de raisin dans nos départemens méridionaux. Aussitôt un décret ordonna qu’à dater du 1er janvier 1811 pour tout délai, le sucre de raisin remplacerait le sucre de canne dans les divers établissemens publics.