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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/10

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froid s’éleva tout à coup jusqu’à 30 degrés, et la division Loyson, envoyée pour recueillir les débris de l’armée, n’apparut que pour devenir elle-même la proie du fléau ; en quelques jours, elle fut moissonnée presque tout entière. La garde, qui jusque-là était restée un corps organisé, fut emportée à son tour ; tous les liens de la discipline se rompirent ; bientôt ce que l’on appelait encore la grande armée ne fut plus qu’une masse confuse de malades, d’éclopés et de traînards, qui, sur une ligne de plusieurs lieues, se précipitèrent sur Wilna, et de là regagnèrent Kowno et le Niémen.

Le 15 décembre au soir, le roi de Naples et les maréchaux arrivèrent à Virballen, s’y arrêtèrent toute la journée du 16, et firent le dénombrement de leur petite troupe. Il ne leur restait plus que 2,500 hommes, 5 ou 600 chevaux et neuf pièces de canon ; les hommes étaient dans l’état le plus déplorable ; la plupart avaient les phalanges des pieds et des mains gelées ; ils étaient hors d’état de rendre aucun service. On alla coucher le 17 à Gumbinen, et les chefs s’occupèrent aussitôt de rallier les débris de leurs corps. Le nombre des éclopés, des malades, des isolés, qui avaient repassé le Niémen, était incalculable ; c’était en quelque sorte une armée tout entière qui semblait rompue plutôt qu’anéantie, et qu’il s’agissait de retrouver. Combien de toute cette foule en restait-il qui fussent encore en état de servir ? Il était impossible de le dire ; il s’agissait pour le moment de rallier ces hommes, de grouper ceux qui étaient valides encore, de les reformer en bataillons, et, ce qui était plus difficile, de leur rendre l’énergie guerrière et le sentiment de la discipline. L’instinct de leur conservation les avait poussés tous dans les places de la Vieille-Prusse. Les maréchaux et les généraux de division reçurent l’ordre de s’y rendre, d’envoyer partout à la recherche de leurs soldats, et de préparer dans ces places les magasins, approvisionnemens de toute espèce et ambulances nécessaires pour assurer la réorganisation de leurs corps respectifs.


Le désastre était accompli ; la grande armée, cette armée qui avait été la gloire de la France et la terreur du monde, n’existait plus. Un climat meurtrier, bien plus que le fer de l’ennemi, venait de moissonner du même coup toute une génération de guerriers ; c’était un malheur incomparable. La plupart de ces hommes que pleurait la France n’étaient pas seulement des soldats intrépides : vieillis dans les camps, ils avaient acquis en cent combats le sentiment et l’intelligence de la guerre. Tout le génie de Napoléon, tout le patriotisme des citoyens étaient impuissans à réparer de telles pertes. Il n’était pas possible de nous le dissimuler, notre puissance militaire était atteinte et ébranlée dans ses bases. Le prestige de nos armées, jusque-là invincibles, était détruit.