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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/128

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adolescens si finement peints sur les vases étrusques, qui marchent d’un pas grave en se donnant la main. Le silence règne sur les bords du grand fleuve, et pourtant c’est bien là le Gange qui entendra retentir les pas d’Alexandre, qui reflétera dans ses eaux sacrées les murailles de tant de villes célèbres, que troublera le cri des Mogols victorieux, et sur lequel les nations européennes feront un jour naviguer leurs vaisseaux mus par une puissance irrésistible et merveilleuse. Vâlmiki, le poète inspiré qui a dérobé les secrets de la naissance de Râma, n’avait rien entrevu de cette réalité lointaine. À l’époque où Râma parcourt les forêts qui bordent le Gange et ses affluens, à peine y voit-on rayonner les premières lueurs de la civilisation brahmanique. Elle s’y manifeste cependant sous la forme du solitaire brahmane et du kchattrya fils de roi, double symbole de la loi divine et de la justice humaine, refoulant devant eux la barbarie. On assiste aux premiers établissemens de ces brahmanes austères, vivant de fruits et de racines, cultivant la pensée et honorant les dieux de tout leur cœur. Autour d’eux règne la paix ; les bois d’alentour semblent participer à la quiétude de leur esprit. Quelle différence avec cette autre forêt sauvage, séjour des rakchasas, que le poète décrit un peu plus loin !

« Là, devant leurs pas, les deux héros, fils de Daçaratha, ayant aperçu une autre forêt terrible, demandèrent avec insistance au solitaire : — À qui cette forêt qui apparaît sombre comme la nuée menaçante, difficile à traverser, remplie de troupes d’oiseaux, où retentissent les cris d’une foule d’insectes ; — forêt troublée par le bruit de diverses bêtes fauves redoutables qui poussent des rugissemens, asile des lions, des tigres, des sangliers, des ours, des rhinocéros, des éléphans ? »

Cette forêt ténébreuse et remplie de bêtes fauves, située sur le bord opposé de la rivière qui coule auprès de l’habitation des solitaires, c’est la forêt enchantée que l’ermite a montrée du doigt aux hardis chevaliers, et il les y conduira lui-même dans une nacelle. Là habite un démon femelle, une yakchî[1] redoutable, dont le fils, maudit par un saint des anciens âges, est tombé à l’état de rakchasa. Ce démon femelle, qui met obstacle aux sacrifices et empêche les brahmanes de s’avancer vers le Gange, il faut que Râma la mette à mort. Le jeune prince s’avance, calme et résolu :

« Râma ajuste la corde de son arc et le dresse, puis il en fait vibrer la corde avec un bruit si perçant, que l’espace est rempli de cette vibration. —

  1. Féminin de yakcha, gnôme, esprit qui hante les bois. Le yakcha est beaucoup moins puissant et surtout moins pervers que le rakchasa. Les bouddhistes en ont fait une espèce de lutin qui se cache dans les arbres pour narguer les voyageurs et se livre au clair de lune à des danses joyeuses.