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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/131

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cette double science, tu acquerras une gloire impérissable. — Quand tu posséderas les deux sciences qui sont les mères de la science divine et de la science profane, la faim et la soif ne te tourmenteront plus guère, ô Râma ! Victorieux à travers les défilés, les passages difficiles et les pays lointains, comme aussi à travers les forêts, tu atteindras, dans les trois mondes, au suprême héroïsme, ô Râma ! — car elles sont filles de Brahma, ces deux sciences ; elles soutiennent la vigueur durant toute la vie. Tu es digne, ô Râma, de les recevoir toutes les deux — Et alors Râma, ayant touché l’eau, les mains jointes sur le front, incliné et debout, reçut ces deux sciences de Viçvâmitra, riche en mortifications[1]. »

Dans ces vers, que le poète Vâlmiki semble avoir rendus obscurs à dessein, on entrevoit une cérémonie religieuse pendant laquelle le néophyte touche avec sa main une eau consacrée, tandis que le brahmane lui confère une sorte de sacrement. Achille, trempé dans les eaux du Styx, était resté vulnérable au talon : pour avoir seulement touché l’eau sainte, Râma, destiné à vaincre tous ses ennemis, sera à l’abri de leurs coups, et bravera les maléfices des esprits pervers. Il y a dans cette donnée un côté qui semble puéril : si Viçvâmitra remettait une fiole entre les mains de son jeune héros, on penserait involontairement au baume de Fier-à-Bras ; mais que l’on dégage la pensée morale et religieuse qui se cache sous le voile des mots, et l’on verra que l’une de ces deux sciences est appelée divine. Or cette science divine, qu’est-elle, sinon la connaissance des destinées humaines ? L’homme vient de Dieu et doit retourner à Dieu ; que lui importent les traverses et les périls, les coups et les blessures ? Le guerrier qui est initié à ces mystères dont la connaissance était le privilège du brahmane, le guerrier qui a la foi triomphera des ogres et des démons ; il sera au moins l’égal des dieux secondaires qui ne peuvent atteindre jusqu’à Brahma, et le poète a raison de dire qu’il n’aura guère à souffrir de la faim et de la soif. En un mot, Viçvâmitra a révélé à Râma cette grande vérité, que les brahmanes ne dévoilaient pas aux ignorans : — il y a en nous un principe immortel que la vieillesse n’atteint pas, que les maladies ne peuvent altérer, et qui ne meurt jamais. — La connaissance de cette vérité solennellement annoncée au guerrier qui l’avait seulement entrevue, ou qui n’y songeait guère, ne suffisait-elle pas pour l’élever tout à coup au-dessus des autres hommes, pour le grandir à ses propres yeux et lui faire voir comme à ses pieds toutes les choses de ce monde ?

N’oublions pas que cette scène mystérieuse et solennelle de l’initiation se passe dans l’ermitage de Viçvâmitra. C’est surtout dans le silence des forêts, en face de la nature, que l’idée brahmanique s’épanouit dans toute sa force. Aux kchattryas appartiennent les palais et les citadelles ; la ville proprement dite, avec ses rues encom-

  1. Chant de l’Adikânda, chap. xxv.