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quelle l’esprit brahmanique avait protesté dans des légendes sans nombre après lui avoir longtemps résisté, la puissance temporelle, personnifiée dans le souverain choisi parmi les guerriers, s’affermissait à mesure que la société aryenne prenait plus de développement. Chargé de gouverner les hommes, ou, comme le disent les législateurs hindous, de les maintenir dans le devoir par la crainte du châtiment, le roi devint la personnification du dieu qui conserve le monde et l’empêche de périr. Comment cette divinité protectrice se sépara du créateur, grand père des êtres, en qui elle semblait d’abord contenue, comment elle prit une forme particulière, les brahmanes n’en ont rien dit. Toujours est-il qu’on la voit s’incarner dans Râma, guerrier, fils de roi, à la demande des dieux inférieurs épouvantés de l’audace des géans et des démons, et du consentement de Brahma lui-même. Ce que Brahma accepte, les brahmanes l’accepteront aussi. Ils remettront donc aux mains du guerrier devenu roi la double science, les armes merveilleuses dont ils prétendaient avoir conservé le dépôt, et la puissance temporelle s’accroîtra d’autant. Ils auront livré de bonne grâce la part de pouvoir qui leur échappait ; dès-lors tout sujet de querelle entre les castes aura cessé, et la paix régnera dans le monde.

Jamais cependant on ne sent mieux le prix de la paix qu’après une longue guerre, une guerre intestine surtout. L’Inde, si l’on en croit les légendes, avait traversé une de ces crises terribles, dont on retrouve les traces dans l’histoire un peu confuse d’un Paraçoû-Râma (Râma à la hache), considéré, lui aussi, comme une incarnation de Vichnou. Voici en quelques mots cette histoire, qui se lie indirectement au sujet du Râmâyama. Jadis une querelle s’éleva entre le brahmane Djamadagni, père de Paraçoû-Râma, et un roi voisin, à propos de la vache d’abondance, — symbole de la terre, ou si l’on veut de la puissance temporelle, — dont les deux castes rivales se disputaient la possession. Djamadagni périt dans la lutte, et son fils pour le venger jura d’exterminer les guerriers. Il les battit dans vingt et une rencontres et les détruisit tous, à l’exception de la dynastie dite solaire, qui régnait à Oude, d’où sortit le Râma chanté par Vâlmiki. Son arme était cette hache terrible qui lui valut son nom ; il l’avait reçue de Civa, troisième personne de la triade, emblème de la destruction. Sur la fin de sa vie, ayant entendu dire que l’autre Râma, fils du roi d’Oude, avait brisé l’arc de Civa, il voulut l’attaquer aussi, mais il sentit bientôt que la force du jeune héros surpassait la sienne. Il se retira donc dans la forêt pour y terminer ses jours. De ces faits il résulte clairement que des brahmanes appartenant à la secte des adorateurs exclusifs de Civa se soulevèrent contre les rois sous la conduite de Paraçoû-Râma, et tentèrent de leur enlever l’autorité temporelle. Cette insurrection paraît s’être calmée lorsque la vieillesse