Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minores de l’antiquité grecque et latine, des divinités secondaires soumises au créateur, comme l’homme lui-même, et souvent moins agréables à leur maître que le mortel vertueux. Il ne faut donc point voir dans les paroles qui expriment la colère de Râma ce sentiment d’impiété qui animait Ajax, fils d’Oïlée, après son naufrage : elles sont, comme l’éclair avant la tempête, le prélude des combats terribles qui vont épouvanter la terre et le ciel. L’enlèvement de Sitâ aura provoqué une guerre dont les générations futures garderont le souvenir, et qui retentira dans toute l’Inde, comme dans la Grèce celle de Troie. Seulement ici les Grecs sont représentés par Râma, par Lakchmana, son frère, et par les singes devenus ses auxiliaires ; les Troyens sont les géans, les esprits pervers qui reconnaissent Râvana pour leur chef. Au lieu d’un fait historique embelli par la poésie, on découvre dans le Râmâyana une allégorie qui exprime le triomphe de la race aryenne sur les barbares ennemis des dieux. Râma, qui a percé de ses longues flèches les géans établis dans l’île de Ceylan, ressemble, au moment de son triomphe, à Apollon vainqueur des cyclopes qui habitaient la Sicile. Le héros du Râmâyana ne disparaît point toutefois de la scène du monde dans un nuage de gloire. Après avoir reconquis son épouse Sitâ, il reprend avec elle la route de sa capitale, où ses sujets l’accueillent avec des cris de joie.

VI.

Le cadre de cette longue épopée renferme en réalité quelque chose comme une odyssée terminée par une iliade. Cependant le sujet du Râmâyana est peu compliqué. Il s’agit des pérégrinations d’un jeune prince, fils du roi d’Oude, exilé par son père, et contraint d’aller passer dans la forêt un certain nombre d’années. Un sauvage lui enlève sa femme, et il résulte de cette agression une guerre à outrance qui se termine par la mort du barbare et la destruction de sa tribu. De cette donnée fort simple, la tradition religieuse et poétique a fait une œuvre complexe. On peut voir dans Râma un mythe, la personnification de la race aryenne, ou simplement le nom collectif d’une dynastie qui sut, en restant fidèle aux traditions religieuses, se concilier l’affection et même le respect de la caste sacerdotale : ce sont là des questions que chacun peut traiter comme il lui plaît. Ce qu’il y a de certain, c’est que le Râmâyana marque une ère nouvelle dans la croyance et dans la littérature de l’Inde. La nouveauté, au point de vue de la doctrine religieuse, consiste dans l’importance qu’a prise Vichnou comme divinité protectrice des hommes et dans le rôle qui lui est attribué comme seconde personne de la triade ; au point de vue littéraire, elle se trahit dans le fait même d’une épopée immense dont un guerrier est le héros. L’autorité royale, contre la-