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même temps notre gouvernement. Ceux-ci ne sont pas de la même nature, mais à des besoins différens il faut des satisfactions différentes. Chacun des deux peuples a sa marche et son génie à part ; le cadran ne marque jamais la même heure des deux côtés du détroit, et nous ne pouvons nous avancer parallèlement vers le même but qu’en nous arrêtant à d’autres étapes.

Toutes les nations modernes ont une cause commune, le progrès matériel et moral du plus grand nombre, le triomphe définitif de la liberté et de l’égalité parmi les hommes. Sir Robert Peel a puissamment servi cette grande cause en Angleterre : c’est là sa gloire, et d’autant plus belle qu’il était né dans d’autres rangs ; mais a-t-il plus fait pour la démocratie anglaise que M. Guizot pour la démocratie française ? J’en doute fort. S’il y a un reproche à faire au gouvernement de 1830, c’est plutôt d’avoir été trop vite en fait de liberté démocratique, et de n’avoir pas proportionné les institutions à l’éducation politique de la nation. Quel est en définitive celui des deux pays qui a encore le plus de privilèges ? Sir Robert Peel aurait-il pu jamais, dans ses momens de plus grande audace, concevoir seulement la pensée de toucher à la pairie héréditaire ? La réforme qui a supprimé les bourgs pourris ne l’a-t-elle pas eu pour constant adversaire ? N’était-il pas lui-même, par son immense fortune, par son titre de baronet, par ses alliances, par ses amitiés, par toutes les distinctions de sa vie, un personnage aristocratique malgré son origine plébéienne, tandis que M. Guizot le protestant, le professeur, le journaliste, le bourgeois, c’était la démocratie vivante ? Prenez le plus démocrate des Anglais et le plus aristocrate des Français, il y a gros à parier que le premier aura plus de préjugés aristocratiques que le second.

Il en est des peuples comme des rois : ce n’est pas en les flattant qu’on les sert le mieux. M. Guizot a eu souvent maille à partir avec les idées démocratiques ; il n’en est pas moins le représentant de ces idées dans ce qu’elles ont de plus noble et conséquemment de plus puissant. Toute sa vie, il a voulu donner à la démocratie française ce qui lui manque le plus, l’esprit de sagesse et de gouvernement. Si elle l’avait écouté, elle ne serait pas où elle en est. Au lieu de faire avancer les idées démocratiques dans le monde, la révolution de février les a fait reculer ; elles reprendront leur cours sans aucun doute, mais elles portent pour le moment la peine de leurs excès et de leurs fautes. La monarchie de 1830 avait fait bien autrement leurs affaires. Au moment où cette monarchie est tombée, toute l’Europe, étonnée de voir un tel développement de liberté se concilier avec tant d’ordre, de richesse et de lumières, avec un tel respect des personnes et des propriétés, perdait rapidement ses craintes, et de toutes