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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/300

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venir à faire ce qu’ont su faire les Kalmouks eux-mêmes : un corps de peuple ! Et les descendans de Dante et de Colomb sont incapables de réaliser une unité nationale à laquelle sont arrivés d’eux-mêmes, séparés qu’ils étaient ou qu’ils sont encore par les plus profondes diversités de la religion et de la langue, les descendans des Tatars et des Huns ! Il y a là un phénomène aussi triste que curieux dont, avant toutes choses, le bon sens dit qu’il faut commencer par chercher l’explication, car c’est de cette explication évidemment que dépend l’intelligence du reste.

Ce serait là, même sous la plume d’un écrivain étranger, un des thèmes les plus intéressans à étudier de la philosophie de l’histoire, si le Rinnovamento de l’abbé Gioberti et les Istorie de M. Ranalli n’offraient un moyen de rendre la discussion de ce thème plus instructive et plus piquante encore, en nous apprenant ce que les Italiens éclairés pensent et disent de ces causes, au premier abord si mystérieuses, de la faiblesse de leur pays. C’est une question en effet que nos deux publicistes, le premier par voie dogmatique et le second par la voie de l’histoire, ont traitée de façon à ne laisser aux étrangers qu’à glaner après eux. Le mieux donc évidemment, sur ce point préjudiciel et capital de la question que nous agitons ici, est de les entendre, sauf seulement à interpréter leurs dépositions ou à les compléter, s’il paraît nécessaire.

Avant tout cependant, nous devons faire, à l’honneur tant de ces deux écrivains que de leur patrie tout entière elle-même, l’éloge de la franchise des révélations que nous allons entendre, et cet éloge, on ne le trouvera vraisemblablement que juste. La dernière chose que les peuples, aussi bien que les individus, aiment à s’entendre dire et surtout à se dire à eux-mêmes, c’est la vérité. Voulez-vous leur plaire ? Ne leur parlez que de leurs vertus. À Paris, dites que les Français sont le premier peuple du monde ; à Berlin, dites que ce sont les Allemands, et tenez-vous pour assurés que vous serez crus sur parole. Les Italiens, eux aussi, non-seulement ont longtemps partagé ce travers, mais ils y ont abondé. Tout ouvrage qui n’était pas à la louange exclusive de leur supériorité (del primato italiano) n’avait presque aucune chance de succès auprès d’eux, et c’est à les entretenir d’abord avec une complaisance et une abondance merveilleuses de cette supériorité que l’abbé Gioberti notamment a conquis sa renommée d’écrivain. Publicistes et lecteurs, à ce qu’il paraît, ont depuis quelque temps, en Italie, fort heureusement changé à cet égard. Le Rinnovamento, nous l’avons déjà dit, est un des ouvrages qui, dans ces dernières années, ont été le plus répandus et le plus goûtés au-delà des monts, et cependant sa plus grande et sa meilleure partie est consacrée à dévoiler avec la plus rare franchise