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bien des expressions au moins équivoques dont son livre est plein, de retrouver, à peu de chose près, dans sa théorie l’esprit des utopies les plus dangereuses de nos jours. Ses ennemis ont employé contre lui ce procédé violent de dialectique, nous ne voulons pas les imiter : nous savons faire la part des emportemens de langage où les mécomptes d’un patriotisme généreux et ulcéré ont pu entraîner l’abbé Gioberti, et ce n’est pas ici qu’on a jamais fait ni qu’on fera jamais des procès de tendance aux opinions d’écrivains évidemment bien intentionnés dans le fond, mais chez qui dans la chaleur du combat la parole peut aller plus loin que la pensée. Cependant, quand l’auteur du Rinnovamento sollicite une modification dans les lois qui régissent l’acquisition et la transmission de la propriété, la reconnaissance de je ne sais quel droit indéfini de vivre en travaillant qui ressemble fort au droit au travail, la séparation du pouvoir temporel des papes de leur pouvoir spirituel, le triomphe absolu et sans contre-poids de la démocratie aussi bien dans l’église que dans l’état, et qu’enfin, se demandant à lui-même si tout cela n’aboutit pas à quelque chose comme l’apostolat de la république universelle, loin de reculer contre l’énorme utopie, il l’accepte sans hésiter des mains de la logique ; cependant, disons-nous, sur tous ces points l’abbé Gioberti ne côtoie-t-il pas, pour ne rien dire de plus, les doctrines de l’école révolutionnaire ? Et son euphémisme de rinnovamento n’élève-t-il pas un médiocre mur de séparation entre sa théorie et celle de cette école ? Que deviennent alors ses imprécations contre M. Mazzini et son système ? M. Mazzini, lui aussi, ne demande pas autre chose que le bouleversement universel. Il est vrai que tout lui est bon pour assurer ce bouleversement, parce que, fidèle à la vieille maxime jacobine, il croit que la fin justifie les moyens, tandis que l’abbé Gioberti a horreur de toute autre conduite que celle que peuvent avouer l’honneur et le bon droit. À cela près, quelle différence de principes peut-on imaginer entre le système révolutionnaire pur et ce rinnovamento destiné à avoir aspetto e qualità di rivoluzione ?

Arrêtons-nous là. En voilà assez du moins pour établir, et c’est le seul point qui nous intéresse, qu’en exposant les doctrines de la nouvelle école fondée par l’abbé Gioberti, la fidélité du rapporteur chez nous n’a rien eu de la complaisance d’un partisan. Aller plus loin dans la critique serait nous ranger parmi les adversaires, non pas seulement des erreurs, mais des idées généreuses que renferme aussi le Rinnovamento, et c’est un excès, on le comprendra, où nous ne voulons pas non plus tomber. L’abbé Gioberti d’ailleurs a vécu, il est mort dans la haine et dans le mépris du pouvoir absolu : il appartenait par là à la famille des bons esprits et des honnêtes gens. Ce souvenir, aujourd’hui qu’il n’est plus, parle trop haut en faveur de la pureté de ses intentions pour qu’il nous soit possible de l’oublier.