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En premier lieu, ils devinrent les agens de tous les officiers civils et militaires du service indien, qui eurent recours à leur entremise soit pour placer leurs économies, soit, plus souvent encore, pour trouver les fonds nécessaires au luxe de leur existence. Bientôt les immenses, bénéfices recueillis par les premiers partners de ces associations, dont plusieurs se retirèrent, après une courte gestion, avec 200, 500,000 livres sterling et même 1 million, engagèrent des employés de la compagnie à courir les chances d’une fortune rapide dans la spéculation privée plutôt que de se contenter de la médiocrité des salaires publics. Des militaires, des magistrats, des médecins, abandonnèrent des positions acquises dans le service indien pour s’associer aux grandes maisons commerciales, et par là les relations d’affaires du premier jour entre les merchants-princes et les officiers de la compagnie devinrent bientôt des relations de camaraderie et d’amitié. Néanmoins ce fut là aussi un des écueils où vinrent échouer ces colossales entreprises. Si des hommes intelligens avaient suffi, quoique dépourvus de toute éducation commerciale, pour diriger les spéculations indiennes au temps du monopole, ils ne suffirent plus lorsqu’il fallut lutter contre la concurrence de négocians rompus à toutes les ressources, à tous les détails minutieux du commerce. En vain l’on voulut faire face à l’orage, en vain l’on voulut contrebalancer la perte des profits du monopole en élargissant le. cercle des affaires, en s’élançant dans toutes les spéculations possibles et imaginables : cet aveuglement désespéré ne fit que hâter la catastrophe. La grande maison Palmer fut obligée de déposer son bilan en 1830, et son exemple fut bientôt suivi par les autres merchants-princes. En moins de trois ans, les royautés financières qui avaient conduit pendant cinquante ans les transactions entre l’Inde et l’Europe avaient succombé, laissant derrière elles un passif de plus de 15 millions sterling.

Ce terrible désastre n’est pas le seul à signaler. Quinze ans après la crise de 1830, la banqueroute de la maison Cockerell, les malversations de l’Union-Bank, ajoutèrent des pages aussi tristes que scandaleuses à l’histoire financière de l’Inde, et réduisirent à la misère et au désespoir des milliers de familles. Si donc des résultats magnifiques justifient aujourd’hui les réformes qui ont ouvert à la spéculation privée le champ fertile de l’Inde, il faut reconnaître que la transition a été fertile en tempêtes où ont péri bien des intérêts respectables. L’on peut dire même que l’abolition du monopole est loin d’avoir été favorable aux individus qui se résignent à l’expatriation dans l’espoir d’une fortune rapide, et qu’aujourd’hui l’Européen enrichi aux Grandes-Indes, cet excellent nabab pain-d’épice, si cher aux romans des premières années du siècle, est passé, comme les