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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/408

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comme définitivement gagnée. Une fois en effet qu’il fut démontré que le sol et le climat n’opposaient aucun obstacle naturel et insurmontable à la construction et à l’entretien des rail-ways, les partisans de ces entreprises pouvaient faire valoir, avec une grande apparence de vérité, que les avantages que le pays tirerait de ces entreprises ne le céderaient en rien aux succès merveilleux obtenus dans les autres contrées où des chemins de fer ont été ouverts. Au double point de vue de l’administration intérieure et de la sûreté publique, les chemins de fer promettent dans l’Inde des résultats bien plus importans que ceux qu’ils ont donnés dans toute autre partie du globe. Dans l’Inde en effet, où l’administration est si clairsemée, qu’un magistrat ou un collecteur administre des contrées grandes comme de petits royaumes, c’est à bras d’hommes seulement, à travers mille fatigues et mille retards, que l’officier européen peut se transporter sur le théâtre d’une émeute, ou venir visiter la caisse d’un comptable infidèle. En mettant l’agent supérieur à même de se transporter presque sans délai d’un bout à l’autre de son district, les chemins de fer feront plus que doubler les moyens d’action et de surveillance du gouvernement. Bien mieux, ils doivent augmenter dans une forte proportion la puissance de l’établissement militaire de la compagnie. Aujourd’hui c’est seulement à certaines saisons de l’année, et avec une grande lenteur, que l’on peut mettre en mouvement des troupes dans le domaine indien. Il faut trois mois par exemple à un régiment pour se rendre de Calcutta à Dehli. A l’aide du rail-way, ce mouvement de troupes, avec des dépenses infiniment moindres, ne prendra plus que quelques jours. Ce sont là des avantages politiques qui défient l’examen le plus minutieux et le plus partial. Reste à savoir si le revenu des chemins de fer en couvrira largement les dépenses, si l’argent des capitalistes trouvera dans ces entreprises un placement avantageux.

Or il est certain que le mouvement des voyageurs européens de l’Inde sera dès le début acquis aux chemins de fer; mais les Européens ne forment qu’une fraction minime de la population du domaine indien, et qui connaît l’obstination des natifs à suivre les usages établis, leur haine invincible de toute innovation, leur ignorance absolue de la valeur du temps, peut, non sans apparence de raison, émettre l’opinion qu’il sera long et difficile de les amener à comprendre l’utilité des chemins de fer. Cependant on peut espérer que certaines classes de la société native habituées au contact des Européens sacrifieront bientôt leurs préjugés à leurs intérêts mieux compris : ainsi les marchands en si grand nombre qui entretiennent des relations d’affaires dans les villes de l’intérieur, de Calcutta à Caboul. On ne peut faire aussi bon marché des préjugés des voya-