Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous en avons dit assez pour montrer quel concours actif et puissant les voies de communication nouvelles doivent prêter à la production du pays et à l’action du gouvernement. Aussi, après une polémique de plusieurs années, la cour des directeurs, cédant enfin à ses intérêts mieux compris, se résolut à intervenir activement dans la question des chemins de fer indiens en garantissant aux capitalistes un intérêt déterminé, et en s’engageant à livrer sans frais le terrain aux compagnies concessionnaires. Cette intervention du pouvoir suprême est sans doute contraire au génie et aux habitudes de la race anglaise, mais dans l’Inde de puissans motifs obligeaient le gouvernement à accorder un patronage actif aux nouvelles entreprises. Auprès du capitaliste de Londres, la communauté indienne est loin de jouir d’une réputation de probité immaculée, et ce n’est qu’avec une excessive circonspection qu’il hasarde ses fonds dans une contrée éloignée dont l’histoire financière est remplie à chaque page de déplorables catastrophes. De plus, si des calculs statistiques établissent que les chemins de fer de l’Inde doivent largement couvrir leurs dépenses, il en est d’autres, non moins statistiques, qui établissent que ces entreprises ne pourront jamais être que de déplorables placemens d’argent. Ces difficultés, dont la cour des directeurs ne pouvait se dissimuler la portée, l’ont amenée à garantir aux capitaux divers taux d’intérêt, proportionnés à la fois aux sommes dépensées et aux avantages publics qui doivent résulter de l’établissement des lignes de fer. Outre ces garanties conservatrices des intérêts des actionnaires, il est un autre mode de concours que le gouvernement de l’Inde a adopté en s’engageant à leur fournir le terrain de parcours sans frais. L’état de la propriété dans l’Inde, qui rend ce mode de subvention facile au gouvernement, eût occasionné aux compagnies de grandes dépenses et d’interminables délais. L’on estime à 200 livres sterling par mille le prix moyen du terrain que le gouvernement doit délivrer à la compagnie concessionnaire du chemin de fer des provinces nord-ouest[1]; c’est une subvention totale de 200,000 livres sterling, outre la garantie d’intérêt.

  1. La ligne des provinces nord-ouest, celle qui doit relier le chef-lieu politique et commercial de l’Inde aux grands centres de Dehli et Agra, doit tenir la première place, au point de vue commercial comme au point de vue stratégique, parmi les ligues projetées dans l’Inde. La configuration de la contrée n’oppose d’ailleurs que de faibles obstacles à la construction de cette voie ferrée, qui doit relier Calcutta à Dehli par Burdwan, Mirzapour, Allahabad et Agra. De Calcutta à Burdwan, la plus forte montée est de 1 sur 336 dans une longueur d’un quart de mille, et la plus forte descente de 1 sur 379 pour à peu près la même distance. De Burdwan à la rivière Barruckur, le terrain n’offre aucune difficulté sérieuse; mais après avoir traversé la vallée de cette rivière, l’on arrive à la plus forte montée de toute la ligne, dont le maximum ne dépasse pas 1 sur 100, et cela seulement dans une distance d’un tiers de mille. Cette montée est suivie d’une descente de semblables proportions, inclinaison et longueur. Des inclinaisons de 1 sur 155 et 1 sur 186 conduisent de là au sommet de la passe Dunwa, le point culminant de la ligne, où la descente s’ouvre par deux plans inclinés de 1 sur 61 et un plan incliné de 1 sur 62, tous trois de moins d’un mille et demi de long, et séparés entre eux par des zones horizontales d’environ un huitième de mille chacune. Le terrain est ensuite dépourvu d’obstacles jusqu’à Chunar, et de Chuuar à Mirzapour. De Mirzapour à Allahabad, la première partie du tracé offre un niveau presque parfait, et dans la seconde l’inclinaison la plus élevée est de 1 sur 337. De Allahabad à Cawnpore, le terrain s’élève graduellement, l’inclinaison maximum pour les montées étant de 1 sur 2,064, et pour les descentes de 1 sur 1,508. Enfin, de Cawnpore à Agra et Dehli, le chemin de fer ne réclamera presque aucuns travaux de terrassement. D’après cet aperçu topographique, emprunté presque littéralement aux documens officiels, on semblerait autorisé à conclure que dans aucune partie du monde une ligne de même étendue (1,000 milles environ) n’a rencontré de moindres difficultés de terrain. Malheureusement les obstacles sérieux, ceux qui réclament toute l’habileté de la science moderne, ce sont les torrens et les rivières que la voie ferrée rencontre à chaque instant sur son passage. Ainsi elle doit traverser le Gange deux fois, les rivières Ijelenghee, Bhagerrutti, Soane. Le pont qui sera jeté sur ce dernier obstacle, par ses dimensions colossales et par les difficultés vaincues, prendra rang parmi les plus grandes créations de l’art moderne. Il s’agit de franchir un lit de torrent de deux milles et demi de large sur un fonds de sable mouvant dont on n’a pu jusqu’ici sonder la profondeur. Les devis dressés aux premiers jours élevaient à 15,000 livres sterling le prix moyen par mille de la ligne des provinces nord-ouest. Il semblerait, en prenant pour base de calculs les travaux déjà exécutés, que cette moyenne pourrait être réduite de 9 à 10,000 livres sterl. Les taux d’intérêt garantis aux compagnies par les dernières décisions de l’autorité supérieure sont les suivans : dans la présidence du Bengale, 5 pour 100 pour le premier million sterling, 4 1/2 pour les autres; dans la présidence de Madras, 4 1/2 pour 100, et dans celle de Bombay, 5 pour 100.