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de sa matière. S’il ne persuade pas par cette voie, il étonnera du moins, et c’est déjà une victoire; il étonnera les plus jaloux de l’indépendance de leur raison. J’en dis trop peu, il les épouvantera par ce spectacle d’un si grand travail et depuis tant de siècles commencé, où se sont consumés une si longue suite de grands hommes pour expliquer le mal dans le monde et pour en affranchir l’homme par la vertu. L’impuissance même du prédicateur à contenter notre raisonnement ajoute à cette épouvante, car pour n’être pas convaincus, nous ne sommes pas pour cela débarrassés de ces redoutables problèmes. Et voilà notre cœur touché d’une inquiétude qui ne doit pas finir, et à défaut de la foi, nous avons ce qu’il y a de plus désirable après la foi, ce doute mêlé d’humilité, qui ne s’opiniâtre point, et qu’accompagne le franc désir de devenir meilleurs.

Tel est le premier effet des sermons de Bossuet. Pour la morale proprement dite, elle n’y forme pas une partie distincte. Bossuet n’en traite pas en philosophe et ne l’approfondit pas en moraliste. En ce qui touche la conduite, il s’en fie aux lumières de notre conscience, avertie par la foi de l’issue des bonnes ou des mauvaises actions. Il ne s’attarde pas à épier les plus secrets mouvemens de notre corruption intérieure, à rechercher les faux fuyans de notre amour-propre, à dépister les cachettes de nos passions. Ce qui lui échappe de pensées sur la nature humaine, ou de maximes sur la conduite, arrive dans le discours, non pour l’embellir ni pour éviter la sécheresse, mais parce qu’à cet endroit le précepte demandait un exemple. Soit donc qu’il s’agisse de l’homme en général ou du chrétien de son temps, agité plutôt que dirigé par la foi, et se débattant entre la religion et le monde[1], ces pensées morales, toujours rares sans être extraordinaires, toujours relevées par quelque expression de génie qui les rend inattendues même pour les plus accoutumés au tour d’esprit de ce grand homme, élèvent la morale dans ces sermons à la hauteur des dogmes, et la raison à la hauteur de la foi.

On n’en a pas fini avec les beautés de ces sermons quand on en a admiré la doctrine et la morale. Il reste ce qui n’a pas de nom dans la critique, la liberté, la force, l’enthousiasme du prédicateur; l’image visible et pourtant indescriptible de son âme, soit qu’il se laisse emporter par l’abondance des raisons, soit que, voyant les saintes ténèbres s’épaissir, il refuse d’aller plus avant, et se glorifie de ne pas comprendre. Il reste cette éloquence qui n’affecte aucune forme, la variété par l’abondance solide, nulle figure dominante, tour à tour le ton du conseil ou celui du reproche, la prière ou l’injonction véhémente, et puis de vifs retours sur lui-même, sur lui « pécheur

  1. On en voit d’admirables exemples dans le sermon sur l’impénitence finale.