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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/423

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ingrat et impudent[1]. » Est-ce là un art dont on puisse enseigner les procédés, ou n’est-ce pas plutôt la nature la plus libre et la plus puissante, que l’art a corrigée de tout excès?

On n’en a pas fini encore, même en ajoutant à cette double beauté de la doctrine et de la morale une diction qui ne ressemble à aucune diction connue. Partout cette liberté si fière, partout cette fougue s’accommodent du langage le plus exact; cette abondance ne se permet pas plus une expression vague qu’une pensée vulgaire. Je m’étonne qu’on ait eu le courage d’y remarquer le manque d’une certaine correction extérieure, comme celle de Fléchier par exemple, chez qui la propriété du langage est sacrifiée à l’euphonie, et le génie de la langue à la grammaire. C’est plus qu’un style, c’est l’image même d’un homme de génie sortant du recueillement où il avait préparé son âme plutôt que ses paroles, et jetant de fougue sur le papier des pensées dont il était plein et des expressions qui vont s’y ajuster d’elles-mêmes. Ses ébauches sont aussi étonnantes que ses sermons les plus achevés. Tout le nécessaire y est, et en perfection. Le fini donnera autre chose, mais ne remplacera pas la naïve beauté de ce premier travail.

Qu’avec cette abondance sans superflu, cet éclat sans faux brillans, tant de traits hardis, de figures vives et naturelles, l’art d’attirer l’imagination aux subtilités de la théologie; qu’avec d’éminentes qualités extérieures, une physionomie noble, un regard doux et perçant, un accent passionné, un geste imposant, Bossuet, à l’apparition de Bourdaloue, ait cessé de passer pour le premier prédicateur, comment l’expliquer, sinon parce que le génie de Bourdaloue le tenait plus près de l’auditoire et que Bossuet lui parlait de trop haut? Ou, s’il faut croire que quelques parties de l’orateur lui ont manqué, nous pour qui tout le mérite de l’action oratoire est perdu, et qui, les yeux sur un livre inanimé, ne pouvons plus sentir que la muette éloquence des paroles écrites, nous n’en donnerons pas moins la première place au prédicateur qui a écrit le plus fortement. J’entends Bossuet, quand je crois le lire. De ce grand art, sorti tout entier de lui, il n’y a d’évanoui que le geste, car, pour le regard, il brille derrière tant d’expressions ou touchantes ou véhémentes, et pour la voix, si le son n’en arrive pas à mes oreilles, l’accent en pénètre jusqu’à mon cœur.


II. — BOURDALOUE.

Il y a d’autres raisons plus vraies peut-être de la popularité de Bourdaloue. Il changea l’économie du sermon. Le mystère, le dogme,

  1. Sermon pour le jour de la Pentecôte.