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loue l’humilité du prêtre avait dû ajouter à la sévérité de cette doctrine, et de même qu’il ne montrait pas tout l’esprit qu’il avait, de même il avait plus d’imagination qu’il n’en laissait voir. Ses peintures sont plutôt des sentimens que des images. Il se souvient des choses, il ne les voit pas au moment où il en parle, ou s’il les voit, il semble qu’avant de les peindre, il les éteigne. Quant aux gens, quoiqu’il ait passé pour les dépeindre, je ne vois guère, au lieu de personnes, que le pécheur abstrait dans ses différentes sortes. Ce pécheur nous est trop connu; avant qu’on nous en parle, nous sommes d’accord de tout ce qu’on en va dire. La morale commune a un tort, c’est d’être commune; nous voulons bien nous amender, y tâcher du moins, pourvu qu’on nous en donne quelque raison inattendue ou d’anciennes raisons rajeunies, et en fait de peintures, nous sommes plus touchés qu’on nous montre dans notre nudité qu’à demi voilés.

La langue de Bourdaloue est comme ses peintures, exacte en perfection, mais timide. Il ne rejetait point les pensées communes, dit le père Bretonneau; mais les pensées communes accablent les langues de termes dépréciés et effacés par l’usage. Bourdaloue y est d’autant plus sujet, qu’il était plus au-dessus du ridicule travail par lequel on essaie de rendre extraordinaires par les mots les choses communes, et que, croyant ces choses communes utiles à son propos, il ne voulait pas avouer, en les ornant, que des paroles utiles peuvent n’être pas assez belles. Dans les endroits relevés, la langue est vigoureuse, mais toujours modeste.

On n’ose pas dire que le génie ait manqué à Bourdaloue, tant cette abondance substantielle, cette force de composition, cette mâle correction du discours ressemblent à du génie. Tout entier aux austères devoirs de la prédication ou de la direction, Bourdaloue ne jouissait pas de sa foi, et il pensait bien moins à contenter sa délicatesse qu’à s’approprier à l’auditoire. Il prêchait comme il eût enseigné les sciences, mettant tout son feu dans la méthode et l’enchaînement des preuves, et s’il pensa par momens à toucher dans l’auditeur autre chose que la raison, il dut s’en fier pour cela à l’action oratoire, dont le propre est d’animer les expressions les plus abstraites, de relever les plus communes, de colorer les plus générales.

La Harpe a joué de malheur avec le nom de Bourdaloue. Une première fois, parlant du sermon, en même temps qu’il omet Bossuet, il critique en quelques lignes la sécheresse de Bourdaloue. Plus tard il revient sur ce sujet, et plus juste cette fois envers Bourdaloue, s’il lui donne des louanges judicieuses, ne s’avise-t-il pas de préférer parmi les sermons ceux qui roulent sur les mystères, tant il lui était impossible d’avoir lu tout ce dont il parlait! Ou peut-être ne