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pure de faire des spéculations arbitraires sur le mal dont l’homme est capable. Il ne révèle que ce que le confessionnal lui en a appris. Peut-être aussi lui manquait-il le génie qui dans la morale, comme dans les sciences, connaît, par une sorte de divination, les faits que l’observation vérifie ensuite. C’est le plus souvent à cette lumière que Bossuet lit dans notre fonds; mais nul n’a possédé plus que Bourdaloue la connaissance pratique des consciences, et s’il nous apprend peu de chose sur les singularités du cœur humain, il n’omet rien de ce qu’il nous importe de savoir du nôtre. Cette morale de direction, sans raffinement comme sans prescriptions excessives, a le mérite de n’exciter ni le découragement par trop de méfiance, ni une indiscrète curiosité de nous-mêmes par trop de découvertes ingénieuses. L’imagination n’y vient pas distraire la conscience, ni le plaisir de voir du nouveau troubler la résolution de faire le bien. On sait gré à un homme de tant d’esprit d’en montrer si peu, et à l’auteur consommé de rester toujours l’homme du saint ministère, chargé, non de nous être agréable, mais de nous corriger.

Les moralistes ont peut-être le défaut de trop se complaire à la morale; c’est un emploi si honorable de leur esprit, qu’ils ne s’en défient pas. Ils pensent sincèrement n’en avoir que pour le service des autres, et même le travers d’en montrer plus qu’ils n’en ont leur est dérobé par l’honnêteté de leur dessein. Peu s’en faut qu’ils ne croient se confesser eux-mêmes, s’immoler à l’édification des autres, et l’humilité même de cette pensée les trompe sur ce qu’ils y mêlent à leur insu de malice satirique. Il est admirable avec quelle simplicité sévère Bourdaloue moralise; le goût lui en était venu du devoir, du sentiment de l’utilité, bien plus que d’un tour d’esprit où il se plaisait. On ne rend pas gratuitement plus de services, on ne peut pas faire plus pour éviter la louange; elle lui vint pourtant, mais sous la forme de remercîmens adressés au directeur efficace par des consciences malades que ses soins avaient rétablies.

Le grand succès de Bourdaloue est d’un temps où la critique proposait aux auteurs, pour idéal commun à tous les ouvrages d’esprit, la raison. Un peu avant lui, l’idéal avait été la nature. C’est après les abus du bel esprit et par dégoût du précieux qu’on en était revenu à la nature. De la nature on en arriva bientôt à la raison, qui n’est que la nature dans sa perfection. Ce doit être en effet l’idéal des lettres, puisqu’on ne peut s’y élever qu’avec un esprit et un cœur droits : la théorie de la raison en littérature est toute une morale; mais en nettoyant le discours de toute affectation, et en voulant qu’un écrit fût d’abord la plus honorable des actions, la théorie de la raison rendait les auteurs un peu timides, et leur faisait craindre leur imagination comme une tentation du bel esprit. Dans Bourda-,