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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/431

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saints de l’homme fait à l’image de Dieu, il ne craint pas de s’aider de la grossière ressemblance de la créature pour se représenter le Créateur. Pour Bourdaloue, Dieu n’est que le premier des dogmes chrétiens et le mystère des mystères. Il y croit de foi, il l’aime d’un amour qui n’ose être tendre, et dans ce double sentiment il fait taire toutes ses pensées. Il ne prend pas plus de libertés avec le Christ, malgré les touchantes invitations que nous fait l’homme-Dieu de venir à lui et de le toucher. Loin d’imiter la sainte familiarité avec laquelle Bossuet parle de Jésus, plus attiré par l’homme qu’intimidé par le Dieu, Bourdaloue a peur de trop voir l’homme dans le Dieu. Il se tient à l’écart, il le regarde de loin, dans la foule, plus ébloui qu’attiré par l’auréole lumineuse qui entoure sa tête. Enfin Marie, la médiatrice, il n’ose pas la contempler dans la dignité ineffable que le mystère lui a faite; il ne la voit pas, comme Bossuet, avec ces grâces qui rendent le mystère plus aimable; il s’en fait des images sévères et tristes, et quand il parle « de son exacte régularité, de son attention à ne se relâcher jamais sur les moindres bienséances, de sa conduite à l’épreuve de la plus rigide censure, » ne dirait-on pas qu’il s’agit de quelque pénitente ou d’une personne en religion?

Il garde la même réserve avec les saints et les pères : ce sont des autorités, des traditions, soit pour les mœurs, soit pour la doctrine; des vases d’élection, non des personnes. Bossuet les a vus et suivis dans leur passage à travers cette vie; il n’a pu les fréquenter sans faire amitié avec eux. Bourdaloue ne connaît des saints que leurs pensées; les personnes ne lui apparaissent que sous les voiles mystiques et les traits uniformes des bienheureux.

En résumé, dans la théologie comme dans la morale de Bourdaloue, il n’y a rien pour l’imagination, et c’en est peut-être le principal défaut. Je sais bien que le christianisme fait la guerre aux sens, et que l’imagination étant de toutes nos facultés la plus sujette à leur influence, il est presque d’orthodoxie de ne lui pas être complaisant; mais il y a fort loin de lui trop complaire à l’exclure tout à fait. Le christianisme ne trouve pas que ce soit trop de s’aider de toutes nos facultés pour faire pénétrer sa lumière au fond de notre âme, à travers nos doutes, nos langueurs et nos ajournemens. Il se tient à égale distance d’une spiritualité aride et du culte grossier des images. Bourdaloue ne s’adresse qu’à la raison, et par la voie du raisonnement. C’était un piège que le rationalisme protestant avait tendu au catholicisme. Une religion qui ne parle qu’à la raison risque fort de ne pas persuader, et de tourner contre elle l’arme qui ne lui a pas réussi. Les choses mal prouvées font plus d’incrédules que les choses qui s’imposent d’autorité. On a songé à réfuter Pascal, et Bossuet n’a jamais été contredit. C’est que Bossuet ne rai-