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n’est pas exempte de difficultés, car il y a un intervalle immense entre la pratique et l’intelligence d’une profession. Ceux qui manient le pinceau, lors même qu’ils sont doués de facultés ordinaires, apprennent chaque jour quelque vérité nouvelle, et la contemplation la plus assidue des chefs-d’œuvre de la peinture n’est pas aussi féconde en pareille matière que le choix et l’assemblage des couleurs. Je le sais depuis longtemps, et pour asseoir ma conviction, je me défie volontiers de moi-même.

Le Christ au Tombeau, que nous avons au Louvre, moins célèbre que l’Assomption et la Présentation au Temple, est considéré par les peintres les plus studieux comme un des ouvrages les plus parfaits du maître vénitien. C’est en effet une composition pleine de simplicité, et qu’on ne regarde jamais sans émotion. Ceux qui aiment avant tout la pureté de la forme, qui préfèrent l’élégance et la sévérité du dessin au choix harmonieux des couleurs, éprouvent plus d’un regret en présence de cette toile exquise ; mais il est impossible de la contempler sans être frappé du caractère pathétique des figures, et ce mérite est assez rare dans les œuvres de Titien. Que le corps du Christ ne soit pas irréprochable dans toutes ses parties, je l’admets volontiers ; les juges les plus difficiles à contenter n’en sont pas moins obligés de reconnaître que l’affaissement des membres glacés par la mort est traduit avec une prodigieuse habileté. Les disciples qui soutiennent dans leurs bras leur maître bien-aimé sont tout entiers à l’accomplissement de leur pieux devoir. On lit sur leur visage une douleur profonde et sincère. Un des reproches les plus accrédités, c’est que le Christ n’est pas beau, et que parmi les figures qui l’entourent il n’y en a pas une qui n’offre un type aussi élevé que le sien. Cette accusation n’est que trop justifiée par l’examen. Tout en l’acceptant comme légitime, je persiste à penser que le Christ au Tombeau est non-seulement une des œuvres les plus parfaites de Titien, mais encore une des plus parfaites de la peinture. Je ne parle pas de l’élégance des draperies, de l’éclat des étoffes ; à propos d’un pareil sujet, l’éloge serait presque injurieux. Je veux appeler l’attention sur le visage de la Vierge, où se révèle une si cruelle angoisse. L’espérance même de la prochaine résurrection de son fils ne lui a pas enseigné la résignation. Aussi dans ma pensée cet ouvrage est très supérieur à l’Assomption. Le mérite de l’exécution est égal dans les deux toiles ; mais si l’on se place au point de vue poétique, on est forcé d’établir entre elles une grande différence. Dans l’Assomption, la figure principale n’a pas l’expression que le sujet réclame ; dans le Christ au Tombeau, tous les personnages concourent naturellement, simplement, à l’effet de la composition. Attitude, physionomie, tout est vrai ; les mouvemens ont une