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gravité religieuse : voilà pourquoi j’admire le Christ au Tombeau.

Je voudrais pouvoir dire que cette opinion est aujourd’hui populaire ; mais ce serait parler contre l’évidence. La plupart de ceux qui vantent cet ouvrage comme un prodige ne puisent pas leur admiration à la même source. Les panégyristes de Titien n’attachent pas une grande importance à l’émotion, et pour eux le ton des chairs et des étoffes passe bien avant la vérité poétique. Ce qui les charme, ce qui les frappe d’étonnement dans le Christ au Tombeau, ce n’est pas la douleur de la Vierge, c’est l’éclat harmonieux des draperies ; si l’on voulait réduire leurs louanges à leur juste valeur, on s’apercevrait qu’ils estiment cette composition comme une délicieuse tapisserie. Ils cherchent dans Titien une protestation contre les traditions de l’art antique, et lui prêtent des intentions qui l’étonneraient sans doute s’il pouvait entendre leurs paroles. Si les figures créées par son pinceau ne rappellent pas l’élégance des œuvres grecques, ce n’est pas chez lui dédain systématique pour les doctrines de l’antiquité. Comment aurait-il dédaigné ce qu’il ne connaissait pas ? Il avait déjà fourni plus des deux tiers de sa carrière lorsqu’il vit pour la première fois les débris précieux réunis au Vatican et au Capitole. S’il ne s’est pas élevé jusqu’à la beauté idéale, c’est que son éducation ne lui en avait pas révélé l’importance, la nécessité dans le domaine de l’art. Il représentait ce qu’il voyait, parce que les maîtres de sa jeunesse ne lui avaient pas assigné un but plus glorieux. Pour lui attribuer les intentions dont je parlais tout à l’heure, il faut ignorer l’emploi de sa vie. Ses panégyristes le loueraient avec plus de prudence, en termes plus sensés, s’ils connaissaient l’histoire de la peinture. Malheureusement l’étude d’un tel sujet est tellement négligée parmi nous, que les louanges les plus singulières s’accréditent sans peine, et trouvent bien peu de contradicteurs. Des affirmations qui sont le contre-pied de la vérité sont acceptées comme la vérité même. Au lieu d’étudier l’histoire de la peinture, sans se préoccuper des argumens qu’elle pourra fournir, et de l’invoquer avec sécurité, sachant d’avance les preuves dont elle dispose, on trouve plus facile de ranger parmi les défenseurs d’une opinion préconçue un maître dont on ignore l’éducation ; on dit hardiment : C’est un des nôtres, et quand, l’histoire à la main, quelqu’un se permet de railler cette prétention, on s’étonne d’abord, puis on simplifie la discussion en continuant d’affirmer ce qui ne peut être démontré. Voilà ce qui se passe parmi nous à propos de Titien. On demande à ses œuvres un argument contre la tradition grecque, sans savoir s’il la connaissait, ou s’il ne l’a pas connue trop tard pour en profiter.

Le Martyre de saint Pierre nous offre le talent de Titien sous un double aspect : le paysage n’a pas moins d’importance que les