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figures. Ce tableau jouit en Italie d’une grande célébrité, et ce n’est que justice. Sur le premier plan, on voit saint Pierre succombant sous les coups des meurtriers ; dans le fond, on aperçoit son compagnon qui prend la fuite. La figure principale, celle du martyr, n’est pas dessinée avec une grande sévérité ; mais le mouvement est vrai, et les angoisses de la mort se peignent sur le visage. Ce qui explique la célébrité de la composition, c’est la beauté du paysage. Le sujet proprement dit, quoique traité avec énergie, n’exciterait pas une très vive attention ; le merveilleux accord du paysage et des figures arrête longtemps le spectateur : il semble que l’action représentée n’ait pu se passer ailleurs. Or c’est assurément une des louanges les plus glorieuses qu’il soit donné aux œuvres d’art de mériter. Le paysage sans les figures serait incomplet ; les figures sans le paysage offriraient moins d’intérêt. La forêt où saint Pierre expire est d’un aspect sauvage, mais d’un aspect plein de grandeur. Il y a dans les masses dont cette forêt se compose quelque chose de solennel qui prépare le cœur à l’émotion. Si l’action n’était pas tragique, elle serait inintelligible avec un tel fond. L’expression de cette sympathie mystérieuse de l’homme et de la nature, comprise de tous les esprits délicats, est un des problèmes les plus difficiles que la peinture puisse se proposer. Il y a des forêts qui éveillent chez les plus courageux des pensées sinistres ; il y en a qui éveillent des pensées riantes. Ces impressions diverses, que chacun de nous a ressenties, comment les traduire par le pinceau ? Ce qu’il est permis d’affirmer, c’est que le problème est résolu dans le Martyre de saint Pierre.

J’ai vu à Rome, dans la galerie Camuccini, un autre paysage de Titien qui offrait un caractère tout différent, et ne méritait pas une moindre attention. Les figures qui occupaient le premier plan étaient attribuées à Jean Bellini, et cette conjecture paraissait pleinement justifiée par la nature du dessin. La scène était joyeuse ; le sentiment du bonheur se lisait sur tous les visages, et le paysage était si heureusement conçu, qu’il semblait s’associer à la pensée, au mouvement des personnages. Le souvenir de cette œuvre souriante suffirait pour m’obliger à compter Titien parmi les paysagistes les plus habiles. Le Martyre de saint Pierre, où l’accord de la nature muette avec le sentiment qui anime les personnages est compris et rendu avec une si étonnante habileté, prouve que le maître vénitien saisissait avec une égale finesse et traduisait avec une égale évidence les données les plus diverses. Dans le paysage de la galerie Camuccini, le feuillage d’automne éblouit le regard par la richesse et la variété des tons. Ce qui me charme surtout dans cet ouvrage comme dans le précédent, c’est le sacrifice des détails. Les masses sont hardiment accusées, et l’auteur a négligé avec une rare sagacité tout