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l’ensemble de la figure est d’une élégance que la nature n’offre jamais. Il y a dans le charme de cet ouvrage quelque chose qui ne dépend pas de l’imitation. Léonard, qui connaissait les débris de l’antiquité, et qui par la nature de ses facultés était appelé à la recherche de l’idéal, n’a pas copié ce qu’il voyait. Titien, en peignant la Vénus qu’on admire très justement dans la Tribune de Florence, n’a pas suivi le procédé de Léonard. Il a reproduit sans omission tous les détails du modèle qui posait devant lui, et quoiqu’il ait trouvé dans l’imitation les élémens d’un admirable ouvrage, la justice nous commande de reconnaître que sa Vénus n’est pas l’expression de la beauté suprême. Or, dès qu’il s’agit d’une figure divine, dès que le personnage est une déesse qui dans le polythéisme signifiait tout à la fois amour et beauté, l’intervention de l’idéal dans le choix des contours est une condition nécessaire. Titien, en négligeant cette condition, a fait un ouvrage dont le mérite se dérobe à toute contestation, mais il n’a pas touché le but de son art. Malgré ces réserves, dont la légitimité n’a pas besoin d’être justifiée, nous devons ranger la Vénus de Florence parmi les compositions les plus dignes d’étude. La contemplation de cette toile est une source inépuisable d’enseignemens. Rubens lui-même, qui excellait dans la représentation de la chair, n’a jamais surpassé cet admirable portrait, car je persiste à croire que la Vénus de Titien n’est qu’un portrait. Si sa beauté n’est pas idéale, elle se recommande par un éclat, par une souplesse qui peuvent passer à bon droit pour des prodiges. L’imitation parvenue à ce point sera toujours estimée comme la preuve d’une puissance singulière.

Toutes les grandes galeries de l’Europe possèdent des portraits de la main de Titien, et c’est peut-être le genre où il a révélé de la manière la plus excellente l’habileté de son pinceau. Ce n’est pas que le portrait puisse se passer complètement d’idéal : les maîtres de l’école romaine et de l’école florentine ont pris soin de nous démontrer le contraire ; mais la représentation du modèle, traitée avec grâce, avec majesté, est une chose assez importante par elle-même pour dissimuler dans une certaine mesure l’indigence de l’invention, et Titien, dont l’imagination ne s’est jamais révélée sous une forme souveraine, étudiait avec une rare finesse les personnages qui posaient devant lui. Il vivait dans la familiarité des poètes et des princes, et son pinceau reproduisait avec une fidélité merveilleuse la physionomie de ses modèles. Ses trois portraits de Charles-Quint, son portrait de Philippe II, sont estimés comme des témoignages historiques. Le caractère de ces deux princes est si habilement saisi, si habilement rendu, qu’après les avoir longtemps contemplés, on demeure étonné de la pénétration du maître vénitien. L’histoire de