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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/507

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embarrassé, car il s’attachait à représenter non-seulement ce qu’il avait vu, mais aussi ce qu’il avait conçu. Si pour lui le geste familier du personnage n’était pas indifférent, il tenait plus encore à montrer ce qui préoccupait habituellement l’esprit du personnage. Il y a donc dans les portraits de Titien, outre la vérité matérielle, une vérité plus, haute, plus difficile à saisir : la vérité poétique. L’opinion que j’exprime ici n’est pas une opinion nouvelle ; mais je crois utile de la rappeler aux peintres de nos jours, car ceux qui se proposent de reproduire le modèle vivant, qui ont choisi le portrait pour but unique de leurs efforts, sont habitués à croire que l’intervention de la pensée n’a rien à voir dans le genre qu’ils cultivent ; c’est une erreur qu’il faut s’appliquer à réfuter en toute occasion ! Titien, moins près de l’idéal que Léonard, Raphaël et Corrège, ne l’a pourtant pas négligé complètement, comme on se plaît à le répéter. Il a cherché à l’exprimer dans la mesure de ses facultés. Le portrait de sa maîtresse ne sera jamais pour moi la reproduction littérale d’une créature vivante. Le regard et le sourire de cette belle fille sont embellis par la pensée de son amant. Je consens à croire que la physionomie de Philippe II exprimait la tristesse et la dissimulation ; mais je doute que ces deux sentimens fussent aussi évidens chez le modèle que dans le portrait de Titien.

Titien a laissé quelques peintures à fresque dont nous devons parler avant de porter un jugement général sur l’ensemble de ses œuvres. Celles qui datent de sa jeunesse, et qui servaient à la décoration extérieure d’un monument connu sous le nom de Fondaco de Tedeschi, sont aujourd’hui perdues, ou du moins les débris qui demeurent ne permettent pas d’en apprécier la valeur. On trouve au palais ducal de Venise, au bas d’un escalier, au-dessus d’une porte aujourd’hui condamnée, un saint Christophe d’une très belle exécution, d’une conservation parfaite, qui suffit à donner la mesure de son talent dans ce genre de travail. Le saint est de taille colossale, comme le raconte la légende, et porte sur ses épaules le Christ enfant. Le fils de Marie resplendit et sourit. On admire sur son visage une sérénité divine. Le géant, fier de son fardeau, excite l’étonnement par la puissance de sa musculature. Titien n’eût-il signé que cette peinture murale, nous pourrions le ranger parmi les maîtres les plus habiles dans ce genre difficile ; mais nous trouvons à Padoue, dans le couvent de Saint-Antoine, une série de compositions, tirées de la vie du patron de la ville, qui établissent plus clairement encore le rang qui lui appartient. On a souvent agité la question de savoir si la peinture à fresque peut lutter de précision et de relief avec la peinture à l’huile. Pour ceux qui ont étudié les œuvres dues à l’emploi de ces procédés, la solution n’est pas douteuse : les ressources