Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/635

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mun, lequel se rend au cerveau ; mais entre ces deux sciences il y a une immense lacune à combler : la première nous montre une image optique, la seconde nous apprend qu’il y a des nerfs pour la recevoir ; aucune ne peut nous dire comment cette impression physique se transforme en une sensation psychologique. Ici se place une question, éternellement insoluble, celle des rapports de la matière à l’âme.

De l’examen général et tout scientifique que nous venons de faire découlent plusieurs conséquences. Si nous portons spécialement notre attention sur un objet, nous sommes amenés à reconnaître qu’il nous envoie plus ou moins de lumière suivant que sa faculté de diffusion est plus ou moins élevée. Il nous apparaît conséquemment avec un degré d’éclairement qui dépend de sa nature propre, et la quantité de lumière qu’il nous envoie constitue ce que l’on appelle son éclat ; de plus, la nature des rayons qu’il émet n’est pas toujours la même : il est rouge ou bleu, il possède une teinte spéciale, il a une couleur qui lui est particulière. La réunion de ces propriétés, l’éclat et la couleur, la quantité et la qualité des lumières qu’il émet, s’exprime dans les arts par un mot qui résume l’apparence de l’objet ; c’est le ton. Le rôle des physiciens est de le mesurer, celui des peintres de l’imiter, et c’est une question aussi difficile pour les uns que pour les autres, car le ton change avec toutes les conditions qui déterminent l’éclairement.

Une deuxième remarque qu’il faut faire, c’est que nous apprécions la nature, par la lumière qui nous arrive. S’il était possible de supprimer les objets, mais si le mouvement lumineux qu’ils déterminent continuait à se produire, si les rayons lumineux arrivaient encore dans l’œil après cette suppression comme ils y arrivent avant qu’elle ait lieu, l’image sur la rétine continuerait à se former sans subir la moindre altération, et puisque c’est à cette condition unique qu’est dû le jugement que nous portons, nous persisterions à penser que les objets existent. Ce ne serait plus qu’une illusion, mais elle serait complète ; ce ne serait plus qu’une fantasmagorie, mais elle aurait tous les caractères de la réalité. Supposons par exemple que l’on étale devant nos yeux une toile impénétrable, et que l’on ait d’avance étalé sur cette toile des couleurs disposées avec un art tel qu’elle puisse nous envoyer les mêmes rayons que la nature qu’elle cache, nous n’aurons aucune connaissance de cette toile ; on pourra l’enlever ou la remettre sans que nous puissions le deviner, sans que les conditions de la vision soient altérées, sans que les jugemens que nous portons sur la nature extérieure soient changés. C’est là le problème que poursuit la peinture d’imitation, c’est là qu’elle rencontrera d’insurmontables difficultés. Elle combine avec un admirable talent des couleurs préparées à l’avance, elle les distribue sur les toiles et nous rend l’image de la nature ; mais jusqu’à quel degré