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de précision peut-elle le faire ? Est-ce la réalité qu’elle nous montre, ou bien n’est-ce qu’une vérité conventionnelle et admise ? C’est ce que nous allons examiner.

La nature a constitué nos organes de telle façon qu’ils peuvent reconnaître si les impressions qu’ils reçoivent et nous transmettent sont égales ; mais elle leur a refusé la faculté de les comparer si elles sont inégales. Notre œil nous apprend aisément quand deux objets voisins ont le même éclat ; mais il ne peut nous dire si un corps est deux ou trois ou quatre fois plus éclairé qu’un autre. Je prends un exemple simple : je suppose une feuille de papier blanc exposée en plein soleil ; elle nous paraît éclairée d’une manière parfaitement uniforme ; alors je place entre elle et le soleil un objet opaque, un bâton par exemple, et celui-ci projette sur le papier une ombre qui en couvre une partie. On voit immédiatement que l’ombre portée est moins lumineuse que les parties voisines, l’inégalité des éclats est évidente ; mais personne n’est capable d’en apprécier la différence et de nous dire si les points éclairés directement par le soleil sont deux, trois ou cent fois plus lumineux que les parties couvertes par l’ombre. Cela peut se généraliser : une maison placée dans un paysage projette une ombre sur le sol, et dès-lors le sol, qui a cependant dans toutes ses parties une teinte uniforme, s’éclaire inégalement : notre œil le constate ; mais quel est le rapport des éclats entre les points éclairés et ceux qui ne le sont pas ? C’est ce que nous sommes absolument incapables de juger sans une mesure spéciale exécutée au moyen d’un instrument fait exprès. Prenons maintenant un paysage avec un ciel, des montagnes lointaines et des objets échelonnés graduellement depuis l’horizon jusqu’à nos pieds : chaque partie qui s’y voit a son éclat propre ; mais quel est-il ? On l’ignore. C’est avec ce degré de précision que nous apprécions l’éclairement de la nature.

Maintenant qu’un artiste veuille copier une scène naturelle avec des masses inégalement distribuées de lumière et d’ombre, le voilà placé dans la nécessité d’attribuer à chacune d’elles la valeur qu’elle a réellement ; il faut dès-lors qu’il mesure, ou au moins qu’il copie l’éclat des différens plans, qu’il les gradue suivant la même échelle que dans le modèle, et, pour arriver à remplir cette difficile tâche, il a son œil, un œil très exercé sans doute, à qui l’habitude et un long exercice ont communiqué un supplément de qualités, mais qui n’en est pas moins par sa nature même, chez un artiste comme chez un autre homme, un appareil impuissant à comparer les éclats, incapable d’en assigner les rapports, un instrument tout à fait au-dessous de la mission qu’on lui confie.

Cette difficulté inhérente aux impuissances de l’œil se complique encore d’une impossibilité qui vient de l’imperfection des ressources