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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/667

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quelques pages de déterminer la portée de ces deux mouvemens ; tout ce que nous voudrions faire, c’est de rechercher pourquoi l’un a malheureusement avorté, l’autre si bien réussi, et ce qu’ils représentent aujourd’hui pour nous, hommes du XIXe siècle.

Quelle est la signification précise du mot renaissance, et quel est le sens de ce grand mouvement ? Rien n’est plus difficile à définir exactement. C’est en apparence un mouvement sans unité, qui a revêtu une variété de formes infinies et qui a compté dans ses rangs des hommes de tous les partis. Sa complexité embarrasse le logicien, qui ne peut la résumer à son gré dans une formule satisfaisante. Légère, aimable, grave, studieuse, passionnée, frivole, novatrice jusqu’au cynisme et conservatrice jusqu’à la persécution, la renaissance a pris tous les masques et a servi toutes les causes. Elle a compté dans ses rangs des ministres de l’église établie, des laïques lettrés, des hommes d’épée, des magistrats, des aventuriers. Elle a servi la réforme, et elle l’a abandonnée ; elle a été protégée par la vieille église, et elle l’a bafouée. À proprement parler, il n’y a pas une renaissance, il y en a vingt. C’est un homme de la renaissance, ce docteur Rabelais, ce protégé des grands et des cardinaux, qui secoua d’une main si hardie la vieille société ; c’est un homme de la renaissance, ce Montaigne, qui traverse cette même société d’un pas prudent et léger, comme s’il avait peur d’être écrasé par quelque colonne chancelante. Ce sont des hommes de la renaissance, ces Estienne, si dévoués à la science ; ce sont aussi des hommes de la renaissance, ces Arétin, ces Panormita, ces Castiglione, bouffons et entremetteurs des princes, ingénieux fabricans de priapées. Le spirituel, le savant, le sceptique Cornélius Agrippa, d’équivoque mémoire, désireux avant tout de faire fortune et d’être en faveur auprès des puissans, peut-il bien être placé dans les mêmes rangs que le bon Bernard Palissy, tout absorbé dans son humble travail, insouciant de la fortune et de la protection des grands ? Ulrich de Hutten, l’ennemi des moines et l’ami de Luther, Érasme, si timide, mais si humain, comptent parmi les promoteurs de cette grande révolte. Cependant, parmi leurs successeurs, nous allons rencontrer des suppôts de tyrannie et des panégyristes de l’assassinat : par exemple, ce protégé d’Érasme, ce président Viglius, l’instrument docile du cardinal Granvelle, et cet élégant latiniste Muret, qui célébra en phrases cicéroniennes le guet-apens de la Saint-Barthélemy. Je vois la renaissance brûlée à Genève par Calvin dans la personne de Michel Servet ; je la vois massacrée à Paris dans la personne de Ramus, comme suspecte de protestantisme. Où donc est réellement le parti de la renaissance ? Y en a-t-il un et sommes-nous dupes d’une mystification ? Et son génie, où le trouverons-nous ? Ses œuvres ne sont pas moins nombreuses que ses représentans ; quelle est celle qui pourrait exprimer