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camp, qui avait ses tentes de toute forme, ses rues, ses bazars, ville improvisée, ville de toile, mais véritable cité par le chiffre de la population et la diversité des métiers qui s’y exerçaient. On eût dit l’immigration d’un peuple venant s’établir dans une patrie nouvelle. L’attaque, commencée avec l’ardeur naturelle aux Persans, eut plus d’audace que de succès : l’artillerie était peu nombreuse. Composée de pièces de campagne ou de petits canons portés à dos de chameau, elle ne parvint pas à faire brèche ; puis les munitions manquèrent, et malgré le dévouement des soldats, qui couraient ramasser les boulets pour les rapporter aux canonniers, elles s’épuisèrent. On ne s’avise jamais de tout, surtout en Perse, et l’on ne s’était pas avisé que cet infâme repaire de sunnites tant méprisés oserait résister au châh-chya, nachâh-in-châh, au vicaire d’Ali, au roi des rois.

Avec le temps s’épuisaient aussi les ressources de l’armée. L’avenir était incertain et la famine en perspective ; le vizir prit un singulier moyen pour lui donner de la confiance : il lui fit labourer le sol. Elle ensemença, et les affaires des Hératiens allèrent si bien, qu’elle put faire la moisson. La persistance des assiégés n’était surpassée que par l’entêtement des assiégeans. Les canons étant reconnus trop faibles, on improvisa une fonderie ; on y coula une énorme pièce d’un calibre monstrueux, et comme cette idée était éclose sous le bonnet du premier ministre, qui de mollah s’était, de son chef, institué généralissime, il ne doutait pas que la ville ne succombât. Par malheur, ce canon fut loin de produire l’effet espéré. Pour surcroît, un général entretenait des intelligences avec la place : il paya de sa tête sa trahison ; mais le ministre anglais excitait perfidement la résistance des assiégés par ses encouragemens, par son or, par les avis qu’il leur porta lui-même[1]. Enfin des officiers anglais entrèrent dans la place, soutinrent le moral des Hératiens et rendirent la défense plus efficace. Malgré toutes ces causes d’échec, les troupes du châh se signalèrent par une grande bravoure : elles livrèrent plusieurs assauts, et combattirent souvent à l’arme blanche jusque sur le sommet des remparts. Chaque fois repoussées, elles n’en étaient que plus animées. Un jour les bataillons de l’Azerbaïdjân, les meilleurs de l’armée, s’emparèrent d’une partie du rempart ; ils allaient pénétrer dans la ville, si le désespoir et la rage des Hératiens n’étaient parvenus à en faire un affreux carnage. L’ambassadeur anglais, témoin inquiet de cette attaque, qui avait failli réussir, commença à s’émouvoir sérieusement. Craignant que la ténacité du châh et la valeur de ses serbâs ne finissent par triompher, redoutant un autre assaut plus heureux, M. Mac-Neil somma brusquement le châh

  1. M. Mac-Neil avait pénétré lui-même dans Hérat pendant un armistice, avec le consentement du chah, qui pensait que le ministre anglais y userait de son influence pour obtenir par un traité ce qu’il voulait arracher par la force des armes.