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qu’on peut avancer dans ces assemblages confus de rocs et de broussailles. Montés, les chevaux ne pourraient s’élancer d’un roc sur l’autre, comme ils sont forcés de le faire à chaque instant. Cependant les chevaux de Perse, aussi adroits que sûrs et agiles, ne sont pas difficiles en fait de chemin. Nos muletiers, perdant une à une toutes les houris promises dans le paradis de Mahomet par leurs imprécations et leurs blasphèmes, se désespéraient et s’arrachaient les poils de la barbe. Armés d’un long bâton, nus jusqu’à la ceinture, ils sondaient la rivière,- cherchaient un passage, évitaient un gouffre caché sous le niveau trompeur des eaux, et, malgré ces précautions, que de fois n’ont-ils pas dû décharger un mulet tombé dans l’abîme et incapable de se relever ! Ou bien il leur fallait mettre, à terre toutes les charges et jusqu’à nos selles, pour les enlever à dos d’homme, afin que mules et chevaux pussent sauter sur une roche élevée et glissante. Il faut de douze à quinze heures pour sortir de ce défilé, qui n’est, à vrai dire, qu’une crevasse formée dans la montagne par un ébranlement volcanique. Mettez là des embuscades, quelques centaines de serbâs abrités derrière des rochers et fusillant d’en haut, à coup sûr, sans être vus, la troupe engagée, qui ne peut ni avancer ni reculer, et dites si une armée peut passer là avec son attirail ?

Sera-ce donc du côté de Bebahân, en remontant la côte, que le général anglais cherchera son chemin ? Mais il rencontrera les mêmes périls, et les chances de surprises, d’attaques inattendues se multiplieront encore, car il sera en plein pays des Lours, des Baktyaris, des Mamacenis, tribus guerrières, fanatiques et sanguinaires. En dépit de l’or des Anglais, ces peuplades, quoique peu attachées au gouvernement persan, résisteraient-elles au plaisir de massacrer des étrangers, des chrétiens ? Ces montagnes du Louristân sont celles-là même où Alexandre, sortant de la Suziane et assailli à l’improviste par les Mardes, dut battre en retraite : il ne parvint à s’y frayer un passage, pour atteindre Persépolis, qu’en y perdant ses plus intrépides soldats. Les cipayes trouveraient de même les Baktyaris ou les Lours armés pour l’indépendance de leur pays, sentiment qui a toujours été le trait caractéristique de leur race. Il nous paraît donc aussi difficile pour le corps expéditionnaire de faire une pointe dans l’intérieur de la Perse que de rester inactif à Bender-Bouchir.

Supposons même que l’expédition ait réussi à pénétrer dans le pays, qu’elle se soit rendue maîtresse d’une partie du Fars, et qu’elle se soit ouvert, de gré ou de force, la route de Bouchir à Téhéran : les partisans que l’or de l’Angleterre a pu lui faire dans le sud de la Perse amèneraient peut-être quelques esprits à espérer un pareil succès. On suppose donc que les premiers défilés ont été franchis, et que le châh n’a pas su profiter des avantages naturels du sol