Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/700

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tard un avant-poste à l’armée russe. Dans le cas où l’expédition anglaise obtiendrait des avantages notables dans le sud de la Perse, la Russie enverrait peut-être au secours de celle-ci un corps d’armée qui viendrait facilement réparer ses fautes ou ses échecs. Si l’Angleterre peut sans difficulté envahir le littoral du Golfe-Persique, il faut mettre en balance la facilité plus grande encore avec laquelle, de son côté, la Russie peut faire avancer ses troupes dans la Perse, soit par la Géorgie, soit par le Khorassân. Indépendamment du cours de l’Araxe, dont la Russie est maîtresse, elle règne exclusivement sur la Mer-Caspienne. Elle y entretient une marine qui peut, à un moment donné, transporter un corps d’armée, soit à Recht, soit à Asterabad. Soit en passant I’Araxe, soit en débarquant dans le Mazenderân, la Russie n’a qu’à vouloir pour arriver en très peu de jours dans, la Perse ou dans l’Afghanistan. Par terre ou par mer, elle se porterait facilement, avec tout l’attirail de guerre nécessaire, au-devant d’une armée anglo-indienne, soit au sud, soit à l’est, car les obstacles qu’elle rencontrerait n’ont rien de comparable à ceux qui arrêteraient l’armée anglaise débarquée à Bouchir.

C’est là, du reste, ce qui explique la persévérance avec laquelle l’Angleterre, qui sait si bien apprécier ses côtés faibles, cherche depuis tant d’années à établir solidement la barrière qui doit la protéger contre une rivale qui a l’avantage de la situation. Si l’on consulte en même temps la carte du nord de l’Asie et la série des événemens qui s’y sont accomplis au profit de la Russie depuis quelques années, on voit cette puissance s’accroître, s’élargir, se fortifier, sans s’arrêter jamais. En moins de trente ans, elle a conquis la Géorgie ; ses navires sont devenus maîtres de la Mer-Caspienne ; par là elle domine la Turcomanie, s’étend jusqu’à Khiva, en menaçant Bokhara et l’Afghanistan. Plus à l’est, elle a porté ses soldats et ses navires jusqu’aux frontières du Japon ; elle a fondé un arsenal maritime sur les bords de la mer d’Okhotsk. L’expérience qu’elle a faite dans la dernière guerre lui a appris l’importance de Petropolausk, et elle travaille aujourd’hui à le rendre imprenable. Tout le cours du fleuve Amour, qui est navigable, lui appartient, et elle vient, par un traité avec l’empereur de la Chine, d’acquérir un territoire plus grand que la France, la Daourie, au nord du Céleste-Empire, ainsi que l’archipel des îles Kuriles, qui ferme la mer d’Okhotsk. La Russie, au nord du continent asiatique, forme donc un immense arc de cercle qui va de la Mer-Noire jusqu’à celle du Japon, et qui pèse sur tout le sud. L’Angleterre voit le danger, et c’est pour le conjurer, en rétablissant un équilibre qui lui échappe, qu’elle voudrait ouvrir une grande voie, non-seulement à son commerce, mais à ses forces militaires.

La partie peut s’engager d’un jour à l’autre entre deux grands peuples de l’Europe. La continuation pacifique de leurs envahissemens