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montré que de la ténacité et une certaine habileté à réparer ses pertes, à dissimuler ses faiblesses. Ses compagnons eux-mêmes ne se font point illusion sur sa capacité ; mais ils sont associés à sa fortune, ils sont cernés au centre de l’Amérique, et ils sentent qu’ils n’ont d’autre moyen de salut que la discipline sous cet étrange chef. Quant à la nature de cette domination, elle se laisse voir dans tous les actes de la dictature yankee. Walker, resté seul maître, a rétabli l’esclavage au Nicaragua. Il fusille ses adversaires et il confisque leurs propriétés. Il s’empare des fermes qui sont à sa convenance pour les livrer à quelques spéculateurs américains qui lui fournissent des ressources ; il livre le reste au pillage, et il ne peut demander, on le conçoit, plus de scrupules à ses soldats qu’il n’en montre lui-même. Quelle était la pensée de Walker dans cette violente entreprise ? On a cru qu’il n’avait d’autre dessein que de s’emparer du Nicaragua pour l’annexer aux États-Unis. Voici cependant que d’indiscrètes révélations d’un de ses complices le laissent voir préoccupé d’idées beaucoup plus personnelles. Il aurait songé à créer sous sa domination une république intermédiaire avec l’Amérique centrale et Cuba, qu’il s’agissait toujours bien entendu d’enlever à l’Espagne. « Non, disait-il assez bizarrement en parlant de Cuba, cette belle contrée n’est pas faite pour ces barbares Yankees. Qu’est-ce que ces chanteurs de psaumes feraient de cette lie ? Les chanteurs de psaumes n’ont point goûté beaucoup la révélation, et il est certain que Walker est tombé dans un notable discrédit aux États-Unis, tandis que d’un autre côté cette incroyable aventure semble toucher à sa dernière période sur le sol même de l’Amérique centrale. Les forces coalisées des divers états centro-américains ont occupé successivement les principales positions, les villes de Léon, de Rivas, de San-Juan del Sur. Walker s’est vu bientôt cerné de toutes parts ; il a essayé de briser le cercle en marchant sur Masaya, où il comptait rencontrer les armées alliées ; mais il a été battu, et il a été obligé de se replier vers Granada, le seul point qui lui reste. Il s’est enfermé dans une sorte de citadelle, après avoir brûlé la ville elle-même par un dernier acte de vandalisme, et c’est devant les ruines de Granada que semble devoir se décider aujourd’hui la question. Il est douteux que Walker parvienne à se relever des défaites successives qui l’ont frappé, et qui ont déconsidéré sa cause aux yeux de ceux-là mêmes qui ne voient que le succès. Quant à l’Amérique centrale elle-même, il y a toujours un fait à noter : jamais, à coup sûr, une entreprise de ce genre n’eût été possible sans la misérable anarchie qui désole et énerve ces contrées. Maintenant, que Walker disparaisse, cette anarchie ne se montrera-t-elle pas de nouveau ? Cette incurable faiblesse de populations incohérentes ne restera-t-elle pas l’éternel appât des envahisseurs ?

C. de Mazade.


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Si, comme le dit un vieux proverbe, — et tous les proverbes sont vieux, — tout ce qui brille n’est point de l’or, on peut affirmer également que tout