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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/717

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école de chant pour qu’un virtuose put aborder le théâtre sans craindre des mésaventures. Nous avons, heureusement changé tout cela, comme dit Sganarelle, et, après six mois de leçons, c’est-à-dire un peu plus qu’il n’en faut pour apprendre la charge en douze temps, on peut lancer sur la scène le premier paysan venu qui aura de la voix et une bonne santé. Toutefois M. Bonnehée, qui chante dans le Trouvère la partie du comte de Luna, crie bien plus fort que M. Graziani, dont l’admirable voix de baryton est si goûtée au Théâtre-Italien, et il est vraiment impossible de ne pas préférer M. Mario, dans le rôle de Manrique, à M. Gueymard. Les chœurs, le spectacle et la mise en scène sont naturellement plus soignés à l’Opéra qu’aux Italiens.

L’apparition du Trouvère sur la scène de l’Opéra, qui ne s’en tiendra pas là, car on assure qu’on prépare déjà la traduction d’Attila de M. Verdi, cette apparition aura servi à mettre en évidence une jeune cantatrice belge, Mme Lauters, dont nous avons des premiers loué ici la belle voix et l’heureuse nature. Nous l’avions même signalée à l’attention de Meyerbeer et de la précédente administration de l’Opéra, tandis que M. Berlioz, avec le goût et le jugement qu’on trouve aussi bien dans sa littérature que dans sa musique, n’a eu que de mauvaises paroles pour la jeune débutante. Toutefois, si la critique propose, messieurs les directeurs disposent seuls de l’avenir des théâtres lyriques. Quoi qu’il en soit, la voix de Mme Lauters est un mezzo soprano d’un timbre ravissant et d’une étendue presque de deux octaves. Cette voix, d’une égalité parfaite et assez flexible, rayonne facilement et répand dans la salle un parfum de jeunesse qui enchante l’oreille. Ménagez-la, dieux immortels ! cette voix qui ne saurait résister longtemps à ce pugilat de l’art moderne ! Mme Lauters déploie dans le rôle de Léonor, que M. Verdi lui a fait étudier lui-même, une intelligence et un sentiment dramatique dont on ne la croyait pas capable. Elle chante fort bien l’air du premier acte, la Nuit calme et sereine, la belle scène du miserere, ainsi que le duo vigoureux qui vient après, et où elle est bien secondée par M. Bonnehée. Le succès de Mme Lauters a été si spontané et si général qu’il a fait pâlir l’étoile de Mme Borghi-Mamo. Mme Borghi-Mamo, qui joue le rôle d’Azucena, qu’elle a créé en Italie, est une artiste d’un vrai talent qui se trouve là dans une position difficile. Elle est obligée de lutter contre les souvenirs de sa langue maternelle pour balbutier une langue étrangère qu’on lui a apprise de la veille. Il en résulte un déplacement d’accent qui gêne l’articulation de la cantatrice, dont on n’entend pas un mot. Cependant Mme Borghi-Mamo a repris, dans les représentations suivantes, une partie de son ascendant, et tout va au mieux pour le meilleur des trouvères connus.

Rendons justice aussi au Théâtre-Italien, qui fait tout ce qu’il peut pour varier le thème de nos plaisirs. S’il n’y réussit pas toujours, ce n’est ni la faute de Voltaire, ni celle de Rousseau. M. Calzado, le chef actuel de cette entreprise difficile, n’avait jamais manié les ressorts d’une direction de théâtre. Il ne savait pas ce qu’il en coûte de toucher aux vanités de ces êtres maladifs qu’on nomme des virtuoses. Puis l’art de nos jours est tellement enchevêtré dans les filamens de l’industrie et dans les subtilités du droit commun, que le Théâtre-Italien ne peut faire un pas sans rencontrer un procès. M. Calzado en a déjà subi et gagné plusieurs, et il est plus que probable qu’il finira par déblayer le terrain de tous les obstacles dont on cherche