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à entraver son exploitation privilégiée. En attendant, on peut demander à M. Calzado pourquoi il a cru devoir souscrire aux caprices de Mme Grisi, d’antique mémoire, qui nous est apparue dans Il Trovatore et dans la Norma sans que personne eût manifesté le désir de l’entendre ! Mme Grisi se tromperait beaucoup si elle prenait au sérieux les ovations de politesse que lui ont préparées quelques intrépides chevaliers. Il faut savoir accepter avec résignation les irréparables outrages dont parle le poète. Si, comme on nous en menace, Mme Grisi devait faire partie l’année prochaine de la troupe de chanteurs italiens, nous aurions à lui dire alors explicitement et tout haut ce que le public qui paie dit tout bas. La direction du Théâtre-Italien a été mieux inspirée en engageant un jeune ténor plein de grâce, M. Solieri, que le public a accueilli avec faveur. M. Solieri possède, avec un physique agréable, une voix douce et flebile qui ne demande qu’à être encouragée. Par le temps qui court, un artiste intelligent et docile, comme l’est M. Solieri, est une excellente acquisition.

Enfin le Théâtre-Italien vient de porter un grand coup, et de répondre à l’administration de l’Opéra, qui lui a enlevé traîtreusement le plus beau fleuron de sa couronne, par la première représentation de Rigoletto, qui a eu lieu le 19 janvier 1857. On dirait que M. Calzado, pénétré de cette vérité de la ballade allemande : « les morts vont vite ! » se hâte d’exploiter la veine de M. Verdi, comme s’il était convaincu que cela ne peut être de longue durée ! Si telle est l’opinion de M. le directeur du Théâtre-Italien, nous devons avouer que nous la partageons entièrement. De vingt et quelques opéras qu’on doit déjà à la plume trop féconde de M. Verdi, huit seulement ont été représentés à Paris. Ce sont : Nabucco, Ernani, I Due Foscari, Luisa Miller, I Lombardi (Jérusalem), les Vêpres siciliennes, la Traviata et il Trovatore. Parmi ces ouvrages, dont nous ne voulons pas médire pour le moment, un seul, Il Trovatore, a complètement réussi. Les Vêpres siciliennes n’ont obtenu qu’un succès de circonstance qui n’a pu se maintenir devant un public moins avide de plaisirs que celui qui fréquentait l’exposition universelle. Qu’on essaie de reprendre au Théâtre-Italien l’un des opéras que nous avons mentionnés plus haut, Il Trovatore excepté, et l’on s’apercevra de l’immense différence qu’aura à constater le caissier du théâtre. Si nous parlons ce langage digne de Turcaret, c’est pour répondre à cette horde de courtiers marrons qui, faute d’un meilleur métier, se sont faits entrepreneurs de succès lyriques. Il semble vraiment qu’ils ont tout dit d’une œuvre de l’art, quand ils ont proclamé à son de trompe qu’elle obtient les faveurs de la foule ! Eh ! mon Dieu, nous ne dédaignons pas le succès, mais nous tenons avant tout à en apprécier la valeur. Il y a des chutes glorieuses, comme il y a des victoires qui avilissent celui qui les remporte. Nous ne faisons pas, nous, de cette critique d’aventure qui s’incline devant tous les faits accomplis, et qui s’écrie au moindre buisson de la route : « Voilà le jardin des Hespérides ! » Nous avons des principes, et les principes obligent.

Parlons enfin de Rigoletto, l’événement de la saison, qui a donné lieu à un procès que le Théâtre-Italien vient de gagner. On devine que le sujet de l’opéra italien est tiré du Roi s’amuse de M. Victor Hugo, drame plus fameux dans l’histoire de la politique et de la justice commerciale que dans celle du théâtre. Le Roi s’amuse n’a été représenté qu’une seule fois à la Comédie-