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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/771

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il trouvait moyen, même ces jours-là, de raffiner sur sa barbarie accoutumée par quelque ingénieuse espièglerie. Ainsi un jour, pendant un de ces spectacles, une grande pluie étant survenue, il ordonna que personne ne sortit, et, tout en changeant lui-même d’habit, interdit aux autres d’en changer, ce qui augmenta un peu le nombre des victimes de l’arène. Ou bien il ordonnait à Glabrio, qui avait été dans une magistrature collègue de Trajan, de combattre un lion monstrueux, et le faisait ensuite mettre à mort pour s’être déshonoré par ce combat. Du reste, il était bon prince : un jour les spectateurs s’étant partagés, ceux-ci demandant un gladiateur, ceux-là un autre, Domitien mit tout le monde d’accord en les faisant combattre tous deux. « Pouvait-on mieux, dit Martial, terminer cette plaisante altercation ? » et il ajoute : « O doux génie de notre invincible empereur ! » Pline le Jeune parle sur un autre ton de Domitien à l’amphithéâtre : « Il y trouvait à moissonner des crimes de lèse-majesté ; il se croyait méprisé, si on ne respectait ses gladiateurs, il disait qu’en les maudissant on le maudissait, qu’on violait sa divinité. L’insensé ! il voulait qu’on le traitât comme un dieu, et qu’on traitât ses gladiateurs favoris comme lui-même. » Mais ce qui plaisait surtout à Domitien, c’était de faire représenter en sa présence des scènes dans lesquelles les souffrances et la mort étaient vraies. On ne voit pas que personne s’en fût avisé avant lui.

Nous connaissons cette préférence par les louanges que lui adresse à ce sujet Martial, qui a consacré un livre entier de ses épigrammes à célébrer les spectacles donnés par Domitien, et dont l’enthousiasme pour ces innovations dramatiques serait comique, s’il n’était révoltant. Martial, par exemple, parle d’un mime où le personnage principal, qui s’appelait Laureolus, était mis en croix. Ordinairement on se bornait à simuler le supplice. Juvénal, voulant flétrir l’acteur chargé du rôle de Laureolus, déclare qu’il avait mérité d’être crucifié en effet : on ne le crucifiait donc point réellement ; mais Domitien faisait mieux les choses, il était pour l’illusion complète au théâtre, et Martial aussi, car il trouve admirable « qu’on ait abandonné aux dents d’un ours de Calédonie la poitrine du personnage qui cette fois était crucifié pour tout de bon. »

Nuda Caledonio sic pectora praebuit urso,
Non falsà pendens in cruce Laureolus.

Un autre jour, on donnait une représentation d’Orphée, C’était une pièce à machines, il y avait des effets de scène merveilleux : les rochers marchaient, la forêt semblait courir, on avait rassemblé des animaux de toute espèce, des oiseaux perchés sur les arbres paraissaient