espérances entretenues par les hommes qui se rattachaient encore par leurs habitudes aux fortes traditions de la génération disparue. Ce jeune prince voyait avec un effroi qui n’est pas contestable, lorsqu’on a lu Saint-Simon, l’abîme que la politique du règne avait creusé sous ses pas, et sans qu’il soit possible de pressentir quelle eût été la direction d’un gouvernement dont Beauvilliers et Fénelon fussent devenus les principaux conseillers, il est manifeste que le dauphin aurait tenté autre chose que ce qui depuis plus d’un siècle avait si tristement réussi. Cette réaction était attendue et souhaitée par tout ce qui dans la nation n’avait pas désappris à penser ou à espérer, et c’est en s’inspirant du sentiment public que, dans la plus magnifique partie de son œuvre, Saint-Simon a pu s’écrier en parlant de ce prince, qui, « comme l’abeille, recueillait la plus parfaite substance des meilleures fleurs : Quel amour du bien ! quel dépouillement de soi-même ! quelles recherches ! quels fruits ! quelle pureté d’objets ! quel reflet de la Divinité dans cette âme candide, simple, forte, qui, autant qu’il est donné ici-bas, en avait conservé l’image ! »
Toutes les perspectives changent donc à la mort du duc de Bourgogne, et dans le courage avec lequel le vieux roi soutint un tel coup, il entra peut-être quelque vague satisfaction de n’avoir plus à redouter une réaction contre son ouvrage. C’est alors, en effet, que s’emparent vraiment de l’avenir ces hommes depuis si longtemps façonnés à n’être plus eux-mêmes, qui n’auront qu’à renier Dieu et à prendre une maîtresse à l’Opéra pour se mettre du jour au lendemain au niveau des mœurs nouvelles, et qu’on verra porter au Palais-Royal l’obséquieuse nullité qu’ils traînèrent si longtemps à Versailles, à Marly et à Saint-Cyr.
Le ciel voulut que la génération nouvelle reçût pour lui commander un chef dont les vices avaient été le résultat nécessaire, encore qu’imprévu, d’une politique très persévéramment suivie. Louis XIV avait humilié la jeunesse du duc d’Orléans en lui imposant de force l’obligation de couvrir de son nom royal le fruit d’un double adultère. Il avait tenu peu de compte des promesses par suite desquelles cet hymen inégal avait été, non pas conclu, mais subi ; le duc d’Orléans végétait à la fois dans l’oisiveté, où le retenait le refus obstiné de l’appeler à la tête des armées malgré d’éminentes qualités militaires, et dans la débauche, qu’expliquait, sans la justifier, la froideur d’une union où son cœur était aussi froissé que son orgueil. Certains hommes auraient pu trouver quelques consolations dans les jouissances vulgaires qu’on pouvait attendre d’une affectueuse prodigalité. Malheureusement pour lui-même, et peut-être aussi pour la France, le duc d’Orléans fut l’un des princes les plus richement