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souffrent. Nous voulons l’indépendance et la grandeur de notre pays, nous voulons que la vieille république de Saint-Marc s’allie à la jeune république française, qui lui offre l’appui de ses armes victorieuses pour s’enrichir de la moitié de la péninsule. Joignez-vous à nous qui sommes les précurseurs de l’avenir, et nous vous protégerons contre la haine du sénateur Zeno, l’un des partisans les plus obstinés des erremens du passé.

Lorenzo ne répondit pas immédiatement à cette ouverture, qui le surprit encore plus qu’elle ne le flatta. Il se demandait, dans son for intérieur, de quelle importance pouvait être à un parti politique l’adhésion d’un jeune homme sans fortune, sans illustration personnelle et d’une naissance modeste. Il comprenait que Zorzi, ayant été l’ami de son père, cherchât à lui donner de bons conseils pour le tirer de la position difficile où il se trouvait vis-à-vis d’une famille puissante ; mais entre une démarche qui lui paraissait si simple et une sorte de conciliabule à la manière de Catilina, il y avait une différence que saisit le bon sens du chevalier. Cependant le noble vénitien avait de bonnes raisons pour agir comme il le faisait et pour attacher un véritable intérêt à s’emparer de l’esprit du chevalier. Depuis la révolte des étudians de Padoue, où il avait joué le rôle d’un tribun, Zorzi avait été dénoncé au conseil des dix comme un factieux. Déjà son arrestation avait été ordonnée lorsqu’on avisa qu’il serait prudent de ménager encore l’agent de la France, qu’on savait être l’ami et le protecteur du noble vénitien. Zorzi, qui était parfaitement édifié sur les intentions du gouvernement à son égard, n’ignorait pas non plus que le sénateur Zeno avait conseillé la plus grande rigueur contre tous ceux qui avaient des opinions inquiétantes pour la sécurité de l’état. Il avait insisté d’une manière particulière sur la nécessité de faire un exemple qui imprimât la terreur aux sujets de la république, en sacrifiant un personnage tel que Zorzi, qui jouissait d’une grande influence, grâce à ses idées connues, à ses lumières et à ses nombreuses relations dans le populaire et dans la cittadinanza. On comprend maintenant que Zorzi eût besoin de s’entourer de mystère, et que, par haine contre le sénateur Zeno, par affection peut-être pour le fils d’un ancien ami qu’il avait compromis, autant que pour se faire un mérite auprès de Villetard en augmentant le nombre des partisans de la France, il eût le plus vif désir d’attirer Lorenzo Sarti dans une faction peu nombreuse qui se donnait comme l’expression des nouvelles générations. D’ailleurs la propagande est la première condition de l’existence des partis qui aspirent à la domination, et la position critique du chevalier Sarti, son amour pour la fille d’un patricien, pouvaient le rendre un instrument très utile entre les mains d’hommes aussi avisés que Zorzi et Villetard.