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— Qu’elle est plus vraisemblable que ton dernier drame historique, répliqua un critique de la presse vénitienne, qui commençait alors à s’émanciper ; mais il faut la compléter en nous faisant tous membres du sénat, à la place des vieillards impuissans qui ont usurpé les droits du peuple souverain.

— Il s’agit bien de Venise et de sa constitution décrépite, dit un élégant citadin d’un esprit hardi et très cultivé, il s’agit de l’Italie tout entière, dont il faut relever la nationalité au milieu de cette grande régénération des peuples qui se prépare. On ne redonne pas la vie à un corps épuisé. La destinée particulière de Venise est accomplie, elle ne peut plus être désormais qu’un fleuron historique de la patrie commune, alma parens.

— Mais que deviendront les princes qui, au nom du droit public, règnent aujourd’hui dans les différentes parties de la péninsule ? répondit un avocat qui se préoccupait beaucoup plus de la lettre que de l’esprit de la révolution.

— Ce qu’est devenu le duc de Modène, qui s’est enfui de ses états avec d’immenses trésors qu’il est venu cacher au fond de nos lagunes, répondit le premier interlocuteur.

— Et le pape, qu’en ferez-vous ?

— Le grand aumônier de la république universelle, ou bien nous l’enverrons à Constantinople convertir le Grand-Turc et le consoler de n’avoir pu épouser la reine de l’Adriatique, répliqua le citadin avec une froide ironie. Aussi bien son règne n’est plus de ce monde. Qu’en pensez-vous, chevalier ?

Le secret de l’avenir repose sur les genoux de Jupiter, a dit il poeta sovrano que j’invoquais il y a quelques instans, répliqua Lorenzo. Sans prétendre donner mon avis sur des questions aussi graves, il est certain qu’un nouvel idéal de la vie morale s’élève dans l’humanité, et que la destinée de l’Italie est dans les mains de l’homme providentiel qui est aux portes de Venise. Si son âme est à la hauteur de son génie, il peut relever cette nation glorieuse, ove il bel si risuona, dont il parle la langue, dont il porte le sang dans ses veines.

Ainsi allait devisant cette brillante jeunesse, sur laquelle le chevalier Sarti avait acquis un très grand ascendant. Excité par Zorzi et Villetard, et plus encore par le sentiment qui remplissait son cœur, Lorenzo avait secoué cette sorte de rêverie tendre et contemplative qui était sa disposition habituelle et pour ainsi dire la grâce de son esprit. Son caractère ouvert et généreux, son enthousiasme pour les belles choses, ses connaissances variées, la tournure romanesque et un peu métaphysique de son imagination, toutes ces qualités diverses, jointes à l’ardeur de ses convictions et à une volonté impérieuse, lui avaient donné une prépondérance marquée sur cette