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cette nomination de M. Biot, et c’était aussi l’intérêt de cette dernière fête académique, où était scellée de nouveau l’alliance des sciences et des lettres. Voilà bien des années déjà qu’il se propage des idées singulières ; ces idées ne tendraient à rien autre chose qu’à faire descendre les sciences de leur sphère pour les réduire à des applications pratiques et industrielles. Il semblerait qu’on dût être plus savant parce qu’on est moins lettré, comme le disait spirituellement M. Biot. D’un autre côté, on n’est pas loin de penser peut-être qu’on est plus homme de gouvernement et d’action parce qu’on a moins de connaissances générales et qu’on cultive moins son intelligence. M. Biot, ainsi que M. Guizot, — et c’est le mérite des discours qu’ils ont prononcés, — ramènent les esprits vers des régions plus élevées. L’un et l’autre ont voulu montrer ce qu’il y a de salutaire et de fécond dans l’alliance des lettres et de l’esprit scientifique, dans le désintéressement de l’étude, dans l’indépendance de la pensée. Aux yeux des générations contemporaines, souvent éblouies par les spectacles matériels, ils ont relevé l’image des grandeurs intellectuelles.

La grandeur intellectuelle ! c’est la seule chose qui n’ait point péri au milieu de ces catastrophes de la fin du premier empire que le duc de Raguse raconte à son tour dans le sixième volume de ses Mémoires. C’est M. de Salvandy, si nous ne nous trompons, qui disait un jour que les lettres françaises n’avaient point subi de traités de 1815. Au moment où la France était violemment rejetée dans ses frontières, l’esprit littéraire mûrissait en quelque sorte et se préparait à rayonner de nouveau sur l’Europe, à reconquérir par l’influence de la pensée le terrain perdu par les armes. M. Guizot a dit quelque chose de semblable dans la dernière séance académique en montrant que Napoléon, par le rétablissement des études classiques, avait préparé une génération qui devait lui échapper et lui survivre en faisant prévaloir d’autres influences. Telle est la loi secrète des œuvres humaines au milieu des plus grandes catastrophes. L’auteur des nouveaux Mémoires, le maréchal Marmont, jette-t-il quelque lumière inattendue sur cette terrible année 1814 ? Il se montre dans ce volume ce qu’il est dans les précédens, vif et coloré dans ses récits, tranchant dans ses assertions, frondeur et injuste à l’égard de ses compagnons de guerre, dur pour Napoléon, et il cherche avant tout à se justifier, car cette année 1814 fut, on le sait, un des défilés de sa vie. Une chose est certaine, c’est que Marmont ne se ménagea point dans ces dernières luttes de l’empire. Il fit la campagne blessé, obligé souvent de mettre l’épée à la main pour sa défense personnelle. En quatre-vingt-dix jours, il eut à livrer soixante-sept combats. Et avec quels moyens d’action fallait-il soutenir cette lutte ? Le major-général prince de Neuchâtel avouait en confidence à Marmont qu’il fallait armer les gardes nationales avec de vieux fusils peu propres au service, parce qu’il n’y en avait plus de neufs. Des corps d’armée étaient réduits à deux ou trois mille hommes, et des divisions à six cents hommes. C’étaient des troupes mal liées, tirées des divers corps et rassemblées à la hâte sous le coup d’une nécessité suprême. — Cela, dira-t-on, ne fait que rehausser les miracles de cette défense. Le génie du chef et l’héroïsme des soldats suppléaient au nombre, il est vrai ; mais cela n’annonçait-il pas en même temps que tout était fini, qu’on ne se battait plus que pour payer une dernière dette au sol sacré, comme l’appelait