Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvenirs la pensée s’égare, l’émotion nuit à l’émotion. Rome n’est point un tombeau, elle ressemblerait plutôt à un musée de la mort.

J’aime mieux Arles, la petite Rome gauloise, gallula Roma Arelas, comme disaient nos pères. Un pieux silence l’environne. Elle s’élève mélancoliquement au-dessus du delta du Rhône, comme le cippe funéraire d’un seul peuple et d’une seule époque. Dernière métropole d’une puissance qui embrassa tout l’Occident, elle clôt dans notre monde les temps romains : voilà sa gloire, et aucune autre n’est venue se mêler a celle-là. Il y a dans cet isolement d’un grand souvenir je ne sais quelle majesté sombre, qui le grandit encore, et lui imprime une consécration religieuse.

De même que la Rome des bords du Tibre, celle du Rhône peut raconter ses guerres, ses révolutions, ses jours malheureux ou prospères et ses aventures héroïques. Elle peut évoquer de son sein d’illustres ombres, et d’abord Maximien Hercule, Fausta, le grand Constantin et ses enfans, Crispus, Constance, Constantin II. Constantin aima le séjour d’Arles, qu’il reconstruisit en partie, qu’il couvrit de monumens, et à qui il donna son nom, qu’elle n’a point gardé. Cette tour ruinée, en saillie sur le Rhône, est un reste du palais de Fausta : là s’accomplit le prologue des tragédies domestiques qui firent de la famille du premier empereur chrétien une nouvelle famille des Atrides. Constance y naquit : là-bas se trouvait la porte triomphale, maintenant détruite, sous laquelle le triste successeur de Constantin ne passait jamais sans baisser la tête, tant il se supposait grandi Ce port renferma les flottes de Jules-César armées pour la punition de Marseille, et cet amphithéâtre entendit la voix de Majorien proclamant l’amnistie des Gaules.

Je me suis adressé à des ombres plus modestes, et les souvenirs dont j’ai recherché la trace parmi ces décombres n’ont pas fait tant de fracas à travers les siècles. Qui connaît aujourd’hui le tyran Constantin et le moine Constant, son fils, et le terrible Breton Gérontius, leur ami, leur soldat et leur assassin, et les deux Espagnols Didyme et Vérinien, neveux de Théodose, dont la tête servit d’enjeu aux calculs d’un tyran qui voulait se faire légitime ? Personne ou presque personne assurément. Pourtant l’histoire de ces hommes est la nôtre. Ils furent les acteurs d’un drame sanglant représenté au Ve siècle dans les murs d’Arles, sous les yeux et avec le concours de nos pères, au milieu des plus rudes secousses qui aient jamais ébranlé une société. Ace seul titre, leur histoire mériterait quelque intérêt. Peut-être aussi y trouvera-t-on des leçons utiles dont nous ferions bien de profiter, tous tant que nous sommes, soldats ou citoyens, gouvernans ou gouvernés.