Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même nous ont rendu familières les études et la vérité historiques, il semble difficile de partager l’indulgence de nos devanciers pour certaines licences un peu trop formelles. Le moyen par exemple de reconnaître, dans le tableau qui représente Filippo Lippi aux pieds de Lucrezia Buti, l’artiste d’humeur fort peu langoureuse dont parle Vasari ? Filippo Lippi d’ailleurs n’avait pas moins de quarante-sept ans au moment de l’aventure retracée par M. Delaroche. Que le peintre ait cru devoir rajeunir ces tardives amours, passe encore ; mais lui appartenait-il de les idéaliser à ce point et de rajeunir aussi bien que le héros l’époque de la scène et les costumes ?

Cependant, à n’envisager les tableaux que nous venons de mentionner qu’au point de vue pittoresque, ils révèlent dans la manière de M. Delaroche un perfectionnement sérieux et laissent pressentir, bien plus clairement que la Josabeth, le développement prochain de ce talent. Le Saint Vincent de Paul surtout mérite d’être considéré comme un témoignage des progrès accomplis et un gage des progrès qui vont suivre. Ici l’indécision du pinceau n’embarrasse plus comme ailleurs l’expression de la pensée ; les instincts judicieux du peintre se formulent non pas avec une liberté entière, mais avec plus d’aisance que par le passé. Quelques années encore, et ce style, déjà près de la netteté, achèvera de s’affermir, ces tâtonnemens du goût se résoudront en intentions tout à fait significatives ; en un mot, la Mort du président Duranti viendra déterminer la manière incomplètement inaugurée dans Jeanne d’Arc, et le charmant tableau qui représente Miss Macdonald apportant des secours au dernier prétendant mettra en pleine lumière les qualités d’un talent mieux approprié à l’analyse des faits et aux interprétations ingénieuses qu’aux vastes entreprises de l’imagination.

La Mort du président Durand est un ouvrage exempt de cette affectation théâtrale, de ces faux semblans de grandeur que, vers la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, les peintres français croyaient de mise dans la reproduction de toute scène historique. Nous ne parlons pas des sujets empruntés à l’antiquité. On sait de reste quels immuables principes régissaient la composition d’un tableau où devaient figurer les héros de la Grèce ou de Rome ; mais là même où il s’agissait de retracer quelque fait de l’histoire nationale, quelque événement appartenant aux époques modernes, les peintres se gardaient bien d’apporter la moindre modification au système une fois adopté comme la règle du beau universel. Ordonnance des lignes générales, attitudes, et jusqu’à l’expression des visages, jusqu’au caractère des ajustemens, tout devait, sous peine d’être réputé indigne de l’art, contrefaire les formes antiques et s’affubler d’une majesté banale. Que Vien, et un peu plus tard Vincent,