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de mon cœur. Plus je faisais d’efforts pour étouffer une passion insensée qui ne pouvait que troubler ma vie, et moins je réussissais à vous oublier. Pardonnez-moi, Lorenzo, ces aveux, qui n’ont rien de blessant pour vous, car c’est votre âge, bien plus que la condition où Dieu vous a fait naître, qui me paraissait un obstacle infranchissable. D’autres sujets de tristesse vinrent encore aggraver ma position, ajouta Beata d’une voix plus faible en baissant les paupières. Je me reprochai la trop grande sévérité de ma conduite à votre égard, et je craignis d’avoir contribué peut-être à vous jeter dans un monde indigne de vous.

À cette manière discrète et touchante de lui rappeler les fautes qu’il avait commises, le chevalier Sarti, saisissant avec transport la main de Beata, qu’il pressa contre son front humilié ; — Ah ! signora, dit-il avec douleur, je n’étais pas digne de troubler par mes erreurs une âme aussi pure que la vôtre !

— La lettre que je reçus de vous quelque temps après, continua la gentildonna en entr’ ouvrant ses beaux yeux et en laissant errer sur ses lèvres pâles un sourire de joie enfantine, cette lettre, qui ne m’a pas quittée depuis, ajouta-t-elle en tirant de son sein un papier tout froissé, me rendit en partie le calme intérieur que j’avais perdu. Je fus touchée de l’expression de vos sentimens, je fus heureuse d’avoir été comprise, mais je n’eus pas le courage de vous répondre, ni la force de prendre une résolution. Contente du présent, j’oubliai l’avenir et les inextricables difficultés de ma position, et mon cœur se remplit de vagues et lointaines espérances. Je laissai courir le temps, jouissant avec délices des témoignages discrets de votre affection, dont je me rappelle les moindres particularités. La promenade à Murano, que nous fîmes ensemble avec Tognina, est surtout présente à mon souvenir. À partir de ce jour, le plus beau de ma vie, ma destinée fut irrévocablement fixée. En écoutant les belles paroles qui sortaient si abondamment de votre bouche inspirée, j’éprouvai je ne sais quel ravissement intérieur où mon âme s’éleva à la hauteur des idées que vous veniez d’exprimer avec tant d’éloquence ; je dérobai à vos regards les larmes de bonheur que je ne pus m’empêcher de verser, et je revins à Venise comme transfigurée par la poésie de vos nobles sentimens. J’hésitais cependant à rompre le silence que j’avais imposé à mon cœur depuis tant d’années. Mon père, qui avait en moi une si grande confiance, et dont je craignais avant tout d’affliger la vieillesse, m’obligeait à garder vis-à-vis de vous une extrême réserve. J’ai eu pendant un moment quelques lueurs d’espérance sur les intentions de mon père à votre égard, et je compte parmi les instans heureux de ma vie les quelques jours qui précédèrent votre départ pour l’université de Padoue. Hélas ! mon illusion fut de courte durée. Je ne vous dirai pas, mon ami,